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Guerre en Ukraine : ce que les services secrets américains savaient avant l'invasion russe

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 18 Août 2022 à 15:37

Une longue enquête du "Washington Post" nous apprend que les services de renseignement américains étaient extrêmement bien informés des intentions de Vladimir Poutine en Ukraine. Tout en prévenant Kiev de la possibilité d'une invasion, ils se sont efforcés de ne pas provoquer la Russie


Guerre en Ukraine : ce que les services secrets américains savaient avant l'invasion russe
En octobre 2021, à l'issue d'une réunion de crise réunissant dans le bureau ovale de la Maison-Blanche les chefs d'état-major, les directeurs du renseignement national, quelques ministres et le président des Etats-Unis, la seule information que Washington ne savait pas, c'était la date exacte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. C'est du moins ce qu'affirme une longue enquête du Washington Post, publiée ce mardi 16 août, qui raconte en détail les mois de tensions diplomatique et militaire ayant précédé la guerre en Ukraine : les informations dont disposaient les renseignements américains, la stratégie employée pour informer l'Ukraine sans provoquer la Russie ou encore la réaction des puissances européennes, tous les sujets sont évoqués, grâce aux témoignages de plusieurs dizaines de hauts responsables américains, ukrainiens et européens.

L'espionnage est un art délicat, dont la difficulté semble particulièrement résider dans le fait de ne pas tirer de conclusions définitives à partir des preuves que l'on s'est pourtant donné tant de mal à collecter. Quand les services de sécurité américains exposent au président, en cette journée d'octobre, les photographies prises par les satellites et les témoignages de sources fiables, le général Mark Milley n'hésite pourtant pas à proclamer en conclusion : "Nous estimons que Vladimir Poutine prévoit de mener une attaque stratégique importante contre l'Ukraine à partir de plusieurs directions simultanément." Et si la suite lui donnera raison, il convient de ne pas tomber dans l'anachronisme, en regrettant que ce constat précoce n'ait pas servi à empêcher la guerre. Il aura au moins servi à mieux la préparer. Hormis l'imprévisibilité de Poutine, susceptible de rendre caduc toute connaissance, les Etats-Unis semblent, donc, à la fin de l'année 2021, capable d'appréhender assez nettement la situation : l'attaque russe aurait lieu en hiver, afin que les chars puissent facilement se déplacer sur les routes. Des troupes russes envahiraient le nord de l'Ukraine pour s'emparer de Kiev en quelques jours puis destitueraient le président Volodymyr Zelensky pour nommer un gouvernement fantoche. Depuis l'Est, des forces traverseraient le pays jusqu'au Dniepr, alors que les soldats de Crimée prendraient le contrôle du Sud-Est. Ne subsisterait alors de l'Etat ukrainien qu'un petit morceau relégué tout à l'Ouest, comme une dernière bande de terre entre l'Occident et le monde russe.

Zelensky prend avec précaution les informations américaines
Ces faits exposés, il convient d'essayer de se mettre dans la tête de Vladimir Poutine. Tâche délicate confiée au directeur de la CIA, William Joseph Burns, qui fut ambassadeur à Moscou entre 2005 et 2008. Il "connaît" assez Poutine pour que son analyse compte. Il se souvient de leurs discussions, déclare qu'il est "obsédé par l'Ukraine", ce que la publication, trois mois plus tôt, d'un essai du président russe sur "L'unité historique entre Russes et Ukrainiens", tend à confirmer. Envoyé en Russie, Burns a l'occasion d'échanger par téléphone avec Poutine. A son retour, il confie que son "inquiétude a augmenté", ayant trouvé le maître du Kremlin plus véhément et plus déterminé que par le passé. La menace est sérieuse, il est temps d'en informer la principale intéressée : l'Ukraine.

Lors de la COP26, organisée à Glasgow au début de novembre, le secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken est assis à côté de Volodymyr Zelensky. Ce dernier écoute ce qu'on lui confie, mais les informations délivrées restent spéculatives. Non seulement parce que Washington refuse de dévoiler des éléments précis, car classés secrets, mais aussi parce que l'Ukraine a l'habitude des feintes russes. Si Washington ne communique pas clairement, c'est parce qu'il n'a pas une grande confiance en Zelensky, un ancien acteur comique sans expérience politique qui apparaît bien faible face à l'ours russe qu'est Poutine. Aussi, il craint que des informations capitales ne tombent entre les mains des Russes - des taupes sévissant au sein des services secrets ukrainiens - laissant craindre que Moscou ne se serve de tout document récupéré pour justifier une intervention de "légitime défense" en Ukraine.

Les Etats-Unis doivent aussi tenir au courant leurs partenaires de l'Otan, et principalement les gouvernements français, allemand et britannique, des informations recueillies. C'est chose faite à la fin du mois d'octobre, lors du sommet du G20 à Rome. Joe Biden rend compte de la situation à ses alliés mais se heurte, selon les témoignages recueillis par le Washington Post, à un scepticisme généralisé. Londres excepté. Emmanuel Macron et Olaf Sholz ont en tête les déclarations américaines mensongères sur l'Irak et, beaucoup plus récemment, sur "la résilience" dont le gouvernement afghan devait faire face devant la pression des Talibans. Ces erreurs d'appréhension sont dans toutes les mémoires et, d'après certains experts, les renseignements américains ne constituent plus, dans le monde du secret, une source très fiable. Seuls la Grande-Bretagne et les Etats Baltes s'alignent sur l'analyse américaine, Paris et Berlin estimant que la Russie pourrait, tout au plus, "croquer un morceau de la pomme ukrainienne".

Il ne faudrait pas croire que l'Ukraine est naïve quant à la situation, elle l'envisage seulement d'une manière décalée, ce qu'une grande puissance occidentale peine à comprendre. Alors que Blinken et ses collègues ne cessent de répéter à Zelensky que son pays est en danger, celui-ci leur rétorque que cette information ne lui sert pas à grand-chose du moment que des aides conséquentes ne lui sont pas envoyées. "Allez-vous m'envoyer des avions ? Non", répond-il à Blinken après une énième mise en alerte. En décembre 2021, les Etats-Unis débloquent tout de même une enveloppe de 200 millions de dollars d'armes provenant de leurs stocks. Zelensky remercie, mais il refuse d'informer sa population sur la probabilité grandissante d'une invasion, ce que réclame pourtant Washington. En fait, il redoute que la panique ne s'empare du pays et que l'économie, déjà fragile, ne s'effondre totalement, rendant impossible toute résistance future à la Russie. Interrogé par le Washington Post, le ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, estime que jamais son pays n'aurait résisté comme il le fait si l'alerte d'une attaque massive avait été donnée trop tôt. Ne pas semer le chaos avant qu'il advienne, afin que les gens préfèrent le combat à la fuite, s'est avéré un plan judicieux.

Une dernière fois, au mois de janvier dernier, Anthony Blinken tente de sonder la pensée russe, en prenant à part le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui ne répond pas à aucune des questions inquiètes du secrétaire d'Etat. Tout en continuant à jouer jusqu'au bout le filon diplomatique, les Etats-Unis se préparent à davantage. Ils augmentent leur présence militaire en Europe de 74 000 à 100 000 hommes et informent les Russes que toute invasion de l'Ukraine entraînera "une sévère réaction". Néanmoins, dès le début, l'administration Biden fait comprendre à Kiev que jamais l'Otan n'interviendra sur le sol ukrainien, à moins qu'un pays membre de l'organisation ne soit frappé. Zelensky comprend, à demi-mot, que les Etats-Unis vont essayer de maintenir un éventuel conflit à l'intérieur de l'Ukraine. De là naîtra sûrement sa stratégie future, consistant à dire et répéter que la Russie n'attaque pas seulement l'Ukraine, mais bien l'Europe tout entière.



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