PORTRAIT Cheikh Tidiane Gadio : Jeu de cash-cash

L'ancien ministre des Affaires étrangères, 61 ans, a naguère touché les cimes des relations internationales avant de finir, samedi, sur la dalle d'une sombre prison de Manhattan. Pour une affaire de corruption présumée.

Incontestablement, comme un aimant, il attirait. À juste 44 ans, Cheikh Tidiane Gadio était l'homme choisi par Abdoulaye Wade pour incarner dans le monde le visage du Sénégal post-alternance de 2000. Et le moins que l'on puisse dire est que le premier ministre des Affaires étrangères de l'après-Diouf, sous les traits d'un "diplomate chevronné", prenait la tâche très au sérieux.

Mais surtout, en panafricaniste convaincu, il avait fait du continent son terrain de jeu privilégié. Persuadé que "la grandeur de l'Afrique passe par une politique orientée vers les États-Unis d'Afrique". Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Darfour, Tchad, Soudan, Mauritanie… : les succès diplomatiques se suivaient et se ressemblaient. Toujours éclatants.

"Gadio était très attaché aux relations entre le Sénégal et ses voisins, se remémore Modou Diagne Fada, un de ses anciens collègues dans les gouvernements de Wade. Une de ses plus grandes victoires diplomatiques fut la résolution de la crise ivoirienne. Il s'est déplacé jusqu'à Bouaké pour discuter avec les rebelles."

Faux airs de dandy
Cet homme à la mise soignée et au verbe châtié n'a pas usurpé ses faux airs de dandy (on ne l'a jamais vu en trois pièces-queue de pie et chapeau melon). Il est né en 1956 à Saint-Louis, l'élégante, la raffinée, la délicate. Et a fréquenté les grandes écoles occidentales.

Son Cv est bluffant. Université Paris VIII, pour des études en sociologie et communication. Université de l'Ohio (Etats-Unis) où il devient docteur en communication. Montréal, où il décroche le diplôme de formation pratique en technologies de la communication et élaboration de programmes pour l'enseignement audiovisuel… Et, le couronnement, sa nomination comme ministre des Affaires étrangères du Sénégal, suite à l'accession de Wade au pouvoir en 2000.

À ce moment-là, Gadio était coordinateur pour l'Afrique occidentale francophone du programme "World" domicilié à la Banque mondiale à Washington. Il avait accepté de quitter sa position de fonctionnaire international, à l'instar des Makhtar Diop (nommé en 2000 ministre des Finances) et autres jeunes Sénégalais de la diaspora de l'époque, pour répondre à l'appel de Wade, qui ambitionnait de bâtir le Sénégal avec la crème de ses enfants. Où qu'elle se trouve.

L'histoire s'arrête brusquement en 2009. Gadio quitte le gouvernement après 9 ans de service. Un record sous Wade. Qui ne sera jamais battu.

Trois ans plus tard, sous la bannière du Mouvement panafricain et citoyen/Luy jot jotna (Mpcl), il se présente contre son ancien patron. Éliminé dès le premier tour, il apporte son soutien au candidat de l'opposition qualifié au second tour, Macky Sall.

Les relations entre les deux hommes tourneront court après que ce dernier a renoncé à son engagement de raboter deux ans sur son mandat de 7 ans. Devenu opposant, Gadio décroche un siège de député aux dernières législatives en scrutant la présidentielle de 2019 avec détermination et assurance.

New York, le 17 novembre 2017
Tout ça, c'était Cheikh Tidiane Gadio avant le 17 novembre. Et son arrestation à New York. Pour une sombre histoire de corruption. Au terme de trois ans d'enquête du FBI, qui a compilé des écoutes téléphoniques et de mails pour pondre un dossier d'accusation de 54 pages.

L'ancien chef de la diplomatie sénégalaise aurait touché 400 mille dollars (plus de 200 millions de francs Cfa) pour avoir permis à une entreprise chinoise d'obtenir des opportunités d'affaires au Tchad. Ce, contre le versement de pots-de-vin de 2 millions de dollars (environ 1,3 milliards de francs Cfa) au chef de l'État tchadien, Idriss Déby.

Gadio rejette les accusations, assurant que les sommes perçues constituent la rétribution des activités de son cabinet au profit de l'entreprise chinoise au cœur du scandale, une compagnie qui voulait mener ses affaires au Tchad.

Le juge de Manhattan a fixé la caution à 1 million de dollar (plus de 600 millions de francs Cfa). L'avocat de Gadio conteste, proposant de verser presque le quart de ce montant. Le verdict est attendu lundi.

D'ici là l'ancien ministre des Affaires étrangères est détenu à la Metropolitan correctional center (Mcc) de New York, la prison où a séjourné des délinquants notoires tels que le Mexicain El Chapo et Bernard Madoff. De talentueux ministre, panafricaniste réputé, fonctionnaire international respecté au carnet d'adresses balèze, Gadio passe désormais, selon la justice américaine, pour un délinquant à col blanc. Il risque 20 ans de prison.

Présumé innocent
Un choc. "Je n'ai pas dormi de la nuit, e me suis retourné dans mon lit. Nous ne l'avons jamais soupçonné d'être mêlé à des affaires de ce genre", soupire Habib Sy, son ancien voisin en Conseil des ministres sous Wade. Qui décrit Gadio en "homme courtois, qui aime sa  culture, son pays, aujourd'hui le seul panafricain après Wade".

"L'ancien ambassadeur de France au Sénégal Christophe Rufin, rapporte l'ancien directeur de cabinet de Wade, disait qu'il était un homme extraordinaire, qui savait toujours trouver les bons mots pour convaincre".

Modou Diagne Fada acquiesce : "Il est panafricaniste avec un carnet d'adresses très fourni. J'ai appris qu'il devait se rendre dans les prochains jours à une conférence sur le panafricanisme. Aujourd'hui, tous ses rendez-vous seront manqués."

Mais dans ce concert d'indignations. d'interrogations, de déductions hâtives, de supputations et de conjectures, Fada tempère : "La situation est très regrettable, mais, pour le moment, il est présumé innocent." Et demande au chef de l'État d'apporter son soutien à celui que Wade considérait comme "le meilleur ministre des Affaires étrangères de l'Afrique".