Au-delà de l’incident : pour une décolonisation de l’administration publique Sénégalaise

Rédigé par Dakarposte le Dimanche 3 Aout 2025 à 19:44 modifié le Dimanche 3 Aout 2025 23:55

Il faut parfois un mot de trop pour réveiller les consciences. Un mot ordurier, cette fois prononcé non par un badaud au coin d’une rue, mais par un préfet de la République. Une insulte lancée à l’endroit du maire de Kaolack, Serigne Mboup, dans un cadre institutionnel, révèle bien plus qu’un simple débordement verbal : c’est le symptôme d’un malaise profond, celui d’une administration territoriale encore hantée par les spectres du commandement colonial.

Cet épisode n’est pas un fait divers. C’est l’arbre qui cache la forêt. Derrière cet affront public, il y a une structure verticale, un rapport déséquilibré entre une administration déconcentrée au vernis républicain mais à l’esprit hiérarchisé, autoritaire, et des élus locaux qui tiennent leur légitimité directement des suffrages populaires. Ce qui a été piétiné à Kaolack, ce n’est pas seulement la dignité d’un maire, c’est la mémoire des urnes. C’est la souveraineté locale. C’est le lien de confiance entre l’État et les citoyens.

Le préfet, un rôle mal compris ?

Le préfet n’est pas un commandant de cercle. Il n’est pas l’intendant d’un pouvoir central lointain. Il est un fonctionnaire d’autorité qui exerce des responsabilités de coordination, de contrôle de légalité, et d’accompagnement des collectivités locales. Le mépris, l’humiliation, l’arrogance ne font partie d’aucun décret de nomination. Et pourtant, ces postures persistent. Pourquoi ? Parce que, au cœur même de la formation des fonctionnaires, les réflexes coloniaux n’ont pas été éradiqués.

L’administration, pour qui ? Pour quoi ?

Le fond du problème est là. De nombreux fonctionnaires issus de l’École nationale d’administration, de la Police, de la Gendarmerie, des régies financières ou encore des inspections générales, sortent avec une perception biaisée de leur rôle. Beaucoup se comportent encore comme des commis coloniaux, convaincus que le pouvoir se manifeste dans l’ordre sec, le regard dur et la voix qui tonne.

À les écouter, on croirait parfois qu’ils servent une autorité supérieure et abstraite, alors qu’en réalité ils doivent représenter les élus de la nation, qui eux-mêmes tirent leur légitimité du peuple. L’administration ne commande pas. Elle accompagne. Elle ne punit pas. Elle régule. Elle ne méprise pas. Elle écoute. Elle honore.

Réformer, repenser, renommer

Il est temps de tout revoir. Les écoles de formation elles-mêmes doivent être refondées. Pourquoi maintenir une École nationale d’administration alors que nous avons besoin de bâtisseurs de service public ? Pourquoi ne pas envisager une École nationale des services publics, centrée sur l’éthique, l’écoute, la médiation et la redevabilité ? Pourquoi une École nationale de police, et pas une École nationale des services de police et de sécurité citoyenne ?

Les curriculums doivent être revisités pour évacuer les relents du commandement colonial. Cela implique non seulement des cours en droit, en gestion ou en management, mais aussi en psychologie sociale, en intelligence émotionnelle, en communication institutionnelle, en éthique publique. À quoi bon avoir des fonctionnaires techniquement compétents si leur rapport au citoyen est toxique ?

Le test de l’intelligence humaine

Dans plusieurs pays, notamment en Scandinavie ou au Canada, les concours d’entrée à la fonction publique incluent des tests d’intelligence émotionnelle, d’aptitudes morales, voire des mises en situation sur la résolution de conflits et le sens du service public. Pourquoi pas nous ? Pourquoi continuer à recruter uniquement sur la base de la capacité à réciter des codes juridiques, sans s’assurer que le futur préfet, policier ou receveur des impôts est capable d’écouter, de dialoguer, d’assumer ses missions sans mépriser le citoyen ?

La République, c’est l’éthique en action

Ce que nous voulons, ce ne sont pas des fonctionnaires figés dans leurs galons. Nous voulons des serviteurs républicains, engagés, humbles, à l’écoute des territoires. Nous ne voulons plus de préfets qui parlent comme des colonisateurs. Nous voulons des tisseurs de paix, des facilitateurs d’État, des médiateurs de la République.

Il est urgent de réformer le commandement territorial. Urgent de repenser la relation entre administrés et administratifs. Urgent de former autrement ceux qui nous représentent. Il ne s’agit pas seulement de changer des mots dans les programmes ou des noms sur les bâtiments. Il s’agit de changer une culture, d’installer une nouvelle éthique publique, enracinée dans la dignité, le respect mutuel et l’intelligence du service.

Parce qu’au bout du compte, l’État n’est grand que s’il respecte les citoyens qu’il prétend servir.










Baye Modou
Citoyen indigné
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