L’une des premières mesures prises par le président Biden lorsqu’il a pris ses fonctions, début 2021, a été de publier son décret présidentiel sur la lutte contre la crise climatique aux États-Unis et à l’étranger. Si le bilan environnemental du démocrate restait contrasté et grandement perfectible, sa politique générale était indéniablement volontariste et les émissions des États-Unis étaient en léger recul.
Son successeur a, lui aussi, pris son stylo. Mais pour signer frénétiquement un sidérant retour en arrière : « L'administration Trump a consacré ses 100 premiers jours à mener la pire attaque jamais menée par la Maison Blanche contre l'environnement et la santé publique », s’insurge Alexandra Adams, du Conseil de défense des ressources naturelles (NRDC, fondé en 1970, qui revendique 700 scientifiques et 3 millions de membres), qui vient de mettre en ligne White House Watch, « un inventaire en temps réel des décrets, propositions et actions de l’administration ». Il en résulte que cette dernière « a mis en œuvre, en moyenne, au moins une action ou proposition destructrice par jour au cours de ses trois premiers mois ». En voici une synthèse, non exhaustive.
Un mandat Trump II beaucoup plus offensif sur la finance et la diplomatie climatiques
Le 20 janvier dernier, jour de son investiture, le 47e président américain enquille la signature d’une trentaine de décrets. Parmi eux, le retrait, pour la seconde fois, des États-Unis de l’accord de Paris, qu’il qualifie d'« escroquerie injuste et unilatérale ». Premier coup de canif symbolique du motto trumpiste : seuls les intérêts de l’Amérique comptent en vue d’une « domination énergétique ». Pourtant, même le PDG du pétrolier Exxon Mobil s’est dit favorable au maintien des États-Unis dans l’accord.
« L'approche de la diplomatie climatique internationale sous Trump II est fondamentalement différente de celle de Trump I, explique Jesse Young, l’ancien directeur de cabinet de John Podesta, envoyé spécial du président Biden pour le climat. Sous Trump I, il y avait beaucoup de rhétorique belliqueuse. Les États-Unis se sont retirés de l'accord de Paris, mais nous étions restés engagés dans la plupart des forums mondiaux et nous avions participé aux négociations. Cette fois-ci, cette administration est totalement désengagée. Elle ne se contente pas de se retirer activement de ces négociations, elle menace les autres pays qui y participent d'utiliser les tarifs douaniers, comme lors des dernières négociations de l'OMI. On ne sait même pas si les États-Unis enverront une délégation officielle à la Conférence des parties [la COP30, au Brésil, en novembre, NDLR] », poursuivait-il, lors d’une conférence de presse en ligne le 23 avril.
Cette crainte s’est trouvée renforcée deux jours plus tard, vendredi dernier, lorsque le gouvernement américain a confirmé la suppression du bureau chargé de la diplomatie climatique, qui représente les États-Unis lors des conférences climat de l’ONU. « Nous ne participerons pas à des accords et initiatives internationales qui ne reflètent pas les valeurs de notre pays », a justifié un porte-parole du département d'État, estimant qu'il était désormais « inutile ».
Dès fin février, on pouvait douter de cette participation du premier pollueur historique mondial aux plus importantes négociations climatiques. Il avait alors interdit aux scientifiques américains de participer à la 62e réunion du GIEC, en Chine. Kate Calvin, conseillère spéciale de la Nasa sur le climat, devait faire partie du voyage. Elle sera licenciée deux semaines plus tard, dans le cadre de « l’optimisation des effectifs » réclamée par le nouvel exécutif.
Au niveau international, les États-Unis multiplient les postures hostiles au multilatéralisme et aux efforts de solidarité internationale. Le 27 janvier, le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, adresse ce message au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres : « Le gouvernement des États-Unis annule toutes les promesses en suspens au Fonds vert pour le climat. » Ce mécanisme onusien d’aide à l’adaptation climatique des pays moins développés se voit délesté de deux milliards de dollars américains (montant réellement versé par Washington au fonds, sur les six milliards promis par Barack Obama et Joe Biden).
Le 6 mars, Washington se désengage des Partenariats pour une transition énergétique juste (JET-P) avec l’Afrique du Sud et l’Indonésie, l’un des rares succès tangibles des dernières COP, pour aider ces pays à stopper le recours au charbon.
Citons également l’annulation de la contribution américaine (déjà faible) de 16 millions d’euros au Fonds pertes et préjudices. Créé à la COP27 en 2022 après 30 ans d’attente des États insulaires menacés de submersion marine, il vise à permettre aux pays les plus touchés par les dégâts climatiques de se reconstruire. Il vient juste de voter un premier décaissement de 250 millions de dollars.
Bien plus fatal sur le plan financier fut la suspension immédiate de presque toutes les aides financières de l’USAID. Qualifiée d’« organisation criminelle » par Elon Musk, la plus grande agence d’aide au développement du monde, dotée de 35 milliards de dollars de budget en 2024, fournissait plus de 40% de l’aide humanitaire dans 158 pays. Le 10 mars, 83% des programmes de l’USAID sont supprimés par le secrétaire d’État Marco Rubio, les 17% restants étant transférés sous la tutelle du département d’État, sans attendre l’issue du recours judiciaire.
Parmi ses nombreuses lignes de crédit, trois milliards de dollars allaient à l’action climatique en 2023 – soit un tiers de la participation américaine à la finance climatique, selon les décomptes du site d’expertise Carbon Brief. Or, dans sa stratégie climat 2022-2030, l’USAID s’engageait notamment à coopérer avec ses pays partenaires en vue de réduire, éviter de produire ou fixer 6 milliards de tonnes de CO2 ; conserver, restaurer ou gérer 100 millions d’hectares présentant un avantage en termes d’atténuation du changement climatique ; améliorer la résilience de 500 millions de personnes ; mobiliser 150 milliards de dollars en financements publics et privés.
« En mettant fin unilatéralement à tous les financements dans les domaines du climat, de l'énergie et de la finance, nous paralysons la capacité de nombre de nos partenaires les plus importants à répondre à leur première priorité politique. Cet argent était vraiment précieux, même s'il ne se chiffrait pas nécessairement en milliards comme nous l'aurions voulu », assène Jesse Young, qui conseillait également John Kerry, ex-chef de la diplomatie climatique démocrate.
Enfin, l’expert observe que toute la politique trumpienne, qui vise à isoler le rival économique chinois, aboutit au résultat contraire : « Tout cela améliore l’image de la Chine alors qu’elle n’a rien fait pour. L'an dernier, la construction de centrales à charbon en Chine a atteint son plus haut niveau en dix ans. Elle finance 90% des centrales à charbon hors de ses frontières. C'est un acteur profondément mauvais sur ces questions, et nous redorons sa réputation par notre propre incompétence. »
Pékin pourrait surtout profiter de la chaise qui serait laissée vide à la COP30 pour s’y asseoir et influencer les négociations dans le sens de ses intérêts, craint un haut responsable cité par Politico : « C’est complètement stupide. » « Si vous vous retirez pour rester à la maison, les autres seront toujours là et la fête ne s’arrêtera pas. Nous allons simplement perdre de notre influence », soupire Jesse Young. « Les Etats-Unis sont en train de s’isoler eux-mêmes du reste du monde », constate lui aussi dépité un expert américain de haut niveau des questions énergétiques et climatiques sollicité par RFI.
Sur le plan intérieur, Donald Trump et son bras armé Elon Musk ont rapidement orchestré le démantèlement systémique des agences fédérales climatiques et environnementales : coupes budgétaires, licenciements, interdiction de l’usage de certains mots, effacements massifs de données de recherches et de pages internet…
« Nous assistons à une attaque généralisée contre les activités climatiques et la science fédérales en général, résume sur un ton funeste la docteure Gretchen Goldman, présidente de l’Union des scientifiques préoccupés. L'ampleur, la rapidité et l'imprudence des réductions de personnel et du travail essentiel des agences gouvernementales américaines sont dangereuses et nuisent déjà à la population de tout le pays, au profit des seuls pollueurs d'énergies fossiles et des milliardaires », poursuit celle qui travaillait jusqu’en janvier au ministère des Transport de l’administration Biden.
Grande victime de ce « ratiboisement » tous azimuts : la NOAA, mastodonte américain des sciences de l’atmosphère et de l’océan. Depuis le 27 février, elle a perdu 20% de ses 12 000 personnels. Parmi eux, le météorologue Tom Di Liberto, responsable du pavillon américain lors de la dernière COP. Les conséquences de ces mesures draconiennes « se font déjà sentir, assure-t-il, en particulier pour le Service de météo national. On ne peut plus donner les prévisions de nos bureaux locaux 24h/24 et 7j/7. On ne peut plus envoyer autant de ballons-sonde [dans le ciel pour faire des mesures, NDLR]. On ne peut plus évaluer les dégâts d’une tornade. » Les habitants du Tennessee se souviennent de la nuit du 2 mars 2020 : sept tornades avaient balayé l’État, prenant la vie de 25 personnes, malgré les alertes insistantes du Service météo national pour une mise à l’abri selon une trajectoire bien précise.
Qu’importe : dans son projet de budget 2026, le gouvernement prévoit de retrancher 25% (1,7 milliard sur 4,5 milliards) par rapport à 2025. Un objectif « dévastateur », selon le terme de plusieurs hauts responsables de l’agence cités par la presse américaine. S’il doit en théorie obtenir l’aval du Congrès et faire face à des contestations préalables en justice, ce projet « indique clairement que les mesures doivent être prises le plus rapidement possible, c'est-à-dire au cours de l'année fiscale actuelle. Grâce à la résolution permanente (« continuing resolution »), il n'est pas nécessaire d'attendre l'adoption du [prochain] budget pour procéder à ces réductions. Certaines de ces mesures peuvent être prises dès maintenant, et le seront très probablement », grimace Tom Di Liberto. Le Congrès des États-Unis, à majorité républicaine, ayant fait allégeance au pouvoir exécutif, il ne représente pas un obstacle alors même qu’il détient le pouvoir constitutionnel de la bourse, soit celui de décider des dépenses fédérales.
Ce plan d’économie radical et autoritaire cible particulièrement le pôle recherche de la NOAA, l’Oceanic and Atmospheric Research (OAR) : les trois quarts de son financement (171 millions de dollars) disparaitraient, menaçant directement la raison d’être de l’agence. Ces réductions « nous ramèneraient aux années 1950 », a réagi l’ancien directeur de ce pôle Craig McLean. L’OAR est crucial « non seulement pour faire avancer la science sur le climat, mais aussi sur la météo et les océans, ainsi que la capacité à aider à renforcer la résilience et l'adaptation à travers le pays et nos interactions au niveau international », alerte Tom Di Liberto. Là encore, des conséquences très concrètes pour les chercheurs : « Le réseau informatique de la NOAA a été touché. Donc, si un satellite tombe en panne, il y a moins de personnel pour le réparer aussi rapidement. Si des bouées tombent en panne, par exemple dans l'océan Pacifique, nous ne pouvons pas envoyer de navire sur place dans un délai relativement court pour les réparer. Cela signifie que nous allons avoir d'importantes lacunes dans les données. » Des laboratoires et leurs sites de référence sont menacés, comme le Global Monitoring Laboratory, qui publie chaque année la concentration de CO2 dans l’atmosphère.
Ces pertes irremplaçables auront un effet domino très négatif pour le réseau de collaboration internationale : « La recherche américaine pèse pour environ un quart de la recherche sur le changement climatique dans le monde », expliquait récemment sur RFI la climatologue française Valérie Masson-Delmotte. « La directrice du Centre européen de prévision météorologique rapporte qu'il y a déjà 10% de mesures atmosphériques opérées en moins par les services météorologiques publics américains. C'est autant de données en moins que peuvent utiliser les modèles de prévisions météorologiques européens et des autres régions du monde. Cela signifie donc une perte de qualité de la prévision météorologique partout. » « Il est très peu probable que l’on voit des choses sortir de la NOAA comme elle le faisait par le passé », confirme Tom Di Liberto.
Le Service national de l’industrie de la pêche, une branche de la NOAA, serait aussi concerné avec un budget réduit de 30%. Il est pourtant indispensable au fonctionnement d’un vaste secteur économique.
À l’instar de la NOAA, aucun des principaux organismes, institutions, services fédéraux œuvrant pour l’environnement ou même la santé publique n’est épargné. Même l’Agence fédérale de gestion des urgences (Fema), qui porte assistance aux victimes de catastrophes naturelles, est touchée : après un plan de départs volontaires, elle devrait perdre 1 000 employés, soit 20% de ses effectifs, dont de nombreux expérimentés.
Au total, les postes supprimés se comptent par dizaines de milliers. Cent trente-quatre mille cinq cent quatre-vingt-six, selon le décompte du New York Times au 28 avril. En réalité, de nombreux contentieux sont en cours, rendant impossible un comptage précis. Environ la moitié ont d’ailleurs été réintégrés. « Cela évolue très vite, avec des va-et-vient constants, rapporte Gretchen Goldman. On entend souvent parler des cas catastrophiques qui occupaient une fonction critique, dans le nucléaire ou le trafic aérien. » Tom Di Liberto incarne l’exemple type du chaos bureaucratique en cours à la NOAA : licencié le 27 février, juste avant la fin de sa période d’essai, il est réembauché le 17 mars après une décision du tribunal, puis à nouveau remercié le 10 avril après que cette même décision a été suspendue. « À la NOAA, il y a un groupe Signal des employés en période d’essai qui ont été virés avec une liste des responsabilités et des tâches que ces gens avaient. En plus du climat et de la météo, il y a aussi ceux qui travaillaient sur le rapport à l’attention du Congrès qui liste les espèces protégées [depuis 1973], sur celui sur la gestion des zones côtières, etc. Toute la NOAA a été touchée de façon indiscriminée. Mais entre ceux qui étaient en période d’essai, ceux qui sont partis en retraite anticipée qui ne sont pas ceux que l’on va retrouver sur Signal, c’est assez difficile de savoir qui est parti… »
Certains démissionnent. Dernier en date : Sethuraman Panchanathan, le patron de la National Science Foundation (NSF). Pourtant nommé par Donald Trump en 2020, « Pan » a jeté l’éponge le 24 avril. Commentaire du magazine Science : « Bien qu’[il] n’ait pas donné de raison pour son départ soudain, les ordres de la Maison Blanche de réduire de 55% du budget de 9 milliards de dollars de l’agence l’année prochaine et de licencier la moitié de son personnel de 1 700 personnes ont peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans une série de directives auxquelles Panchanathan estimait ne plus pouvoir obéir. » La NSF finance la recherche fondamentale aux États-Unis. L’an dernier, elle avait débloqué 78 millions de dollars pour des projets d’adaptation au changement climatique.
Placée sous le patronage de Lee Zeldin, anti-écologiste à l’extrême, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) souffre elle aussi : l’administration réclame 65% d’économie sur ses effectifs et ses opérations. En trois mois jours, 1,5 milliard de subventions ont été définitivement abandonnées, et 20 milliards de financement pour l’énergie propre ont été gelés. Elle vient ainsi d’annuler un projet d’adaptation à 1,5 million de dollars pour la ville de Houston, quatrième ville des États-Unis et grand centre pétrolifère, dont l’agglomération est l’une des plus polluées des États-Unis. Celui-ci impliquait l’installation de panneaux solaires et la plantation d’arbres pour faire face aux chaleurs mais aussi aux inondations, régulières dans cette ville marécageuse : plus de 300 000 propriétés sont exposées…
« Le gouvernement fédéral joue un rôle vital en finançant la recherche qui ne serait pas intéressante pour le secteur privé, mais critique pour le service public. Avec la réduction des subventions, c’est toute la chaîne du progrès scientifique qui est touché », regrette Gretchen Goldman, ancienne directrice climat et technologies au ministère des Transports.
La 6e Évaluation climatique nationale menacée, relance du charbon… : les politiques climatiques sous le feu pour « libérer l’énergie américaine »
Ce lundi 28 avril, l'administration Trump a annoncé, via un simple e-mail, qu'elle « libérait de leurs fonctions » les auteurs de la 6e Évaluation nationale sur le changement climatique, prévue pour 2028. Cette synthèse de rapports de quatorze agences fédérales est rédigée tous les quatre ou cinq ans par près de 400 scientifiques, bénévoles, et chapeautée par le Programme de recherche sur le changement global, créé dès 1990 par le Congrès. Le document sert de ligne directrice fondamentale aux élus chargés d’écrire les lois, aux entreprises et aux gouvernements locaux pour planifier les différentes stratégies de réponse au changement climatique à travers l’immense territoire états-unien. Un rapport pourrait bien sortir des tuyaux, mais réécrit selon les vues d’un pouvoir climato-dénialiste et non à partir des faits existants, craignent des scientifiques interrogés par le New York Times. « Des vies seront perdues », prévoit Rachel Cleetus, chargée climat et énergie à l’Union des scientifiques préoccupés, et qui contribuait à l’ouvrage.
Avec les institutions, le travail de sape agit donc aussi sur la législation environnementale existante. Le 12 mars marque un jour noir dans ce domaine : le gouvernement annonce le détricotage de 31 réglementations majeures dans pour la protection de l’environnement et la santé publique. À la manœuvre, Lee Zeldin, chef de l’EPA, agence dont la mission finale est de protéger l’environnement et la santé de la population. Dans une allocution vidéo, il saluait la « journée de déréglementation la plus importante et la plus conséquente de l’histoire des États-Unis », « un coup de poignard dans la religion du changement climatique », promettant de « libérer l’énergie américaine » en « revitalisant l’industrie automobile » et en supprimant le Clean Power Plan, héritage d’Obama et de Biden pour assainir la production d’électricité dans les États. Ce jour-là, les normes sur les émissions des centrales à charbon sont assouplies, comme celles des voitures ou celles du mercure des centrales électriques, et le périmètre du Clean Water Act, loi qui interdisait notamment de déverser des polluants dans les eaux navigables des États-Unis, est appelé à être redéfini.
Les mesures présidentielles ne visent pas seulement à déconstruire des politiques favorables à la protection de l’environnement sur le sol national et au-delà, mais à en relancer d’autres qui étaient vouées à rester sous terre. Le 20 janvier, « libérer l’énergie américaine » a été décrétée comme une « urgence nationale ». « Il n’y a aucune urgence énergétique comme cela a pu être le cas dans les années 1970, les États-Unis exportent aujourd’hui plus d’énergies qu’ils n’en importent », balaie notre spécialiste qui a plusieurs fois témoigné devant le Congrès sur ces sujets. « Il y a bien plus une urgence climatique dont Donald Trump essaie de bloquer les réponses en promouvant les énergies fossiles qui empirent la véritable urgence. » Le pays n’est effectivement pas épargné par les événements extrêmes, des méga-feux à l’ouest aux tempêtes de plus en plus fortes au sud-est, sans parler de la montée de l’eau sur son pourtour et du bouleversement du cycle de l’eau douce et de différents écosystèmes.
Mais Donald Trump est, depuis longtemps, pieds et poings liés avec l’industrie des combustibles fossiles à qui il avait demandé un milliard de dollars pour financer sa campagne en échange d’une levée des contraintes environnementales – il en aurait obtenu 75 millions. Appuyé par son secrétaire d’État à l’Énergie, Chris Wright, ex-PDG de Liberty Energy, spécialisée dans l’activité nocive de fracturation hydraulique, il applique à la lettre son mantra de campagne : « Fore, chérie, fore. » Il signe le 8 avril une nouvelle série de décrets pour « doper » l’extraction de charbon. « Je dis à mon peuple : "N’utilisez jamais le mot charbon sans le faire précéder des mots beau et propre". C’est pas cher, incroyablement efficace, dense et presque indestructible », avait-il déclaré, entouré d’hommes en tenue de mineur de fond. Le charbon est surtout le pire combustible pour la planète et le vivant. Les 480 centrales américaines sont responsables de la mort de 460 000 personnes entre 1999 et 2020, selon une étude universitaire. Le Royaume-Uni est le premier pays du G7 à avoir fermé sa dernière centrale, le 30 septembre 2024. Aux États-Unis, sa production avait chuté de moitié entre 2008 et 2023, et ne fournissait plus que 16% de l’électricité américaine, derrière les énergies renouvelables (21%).
Dans cette logique, exit les projets d’énergies renouvelables et l’abaissement du prix des médicaments, buts de l’Inflation Reduction Act de 2022, réplique concurrente du Green Deal européen, avec ses 370 milliards de dollars fléchés pour le climat. Il est méticuleusement enterré et conspué par ses fossoyeurs. Dans les États, nombre de projets solaires ou éoliens sont à l’arrêt, des investissements perdus. Le résultat devrait aboutir à renforcer la domination déjà éclatante de la Chine dans la production du matériel photovoltaïque.
L’industrie du bois n’est pas en reste. Alors que les forêts sont notre assurance vie sur cette planète, la déforestation est officiellement incitée depuis un décret du 1er mars. Si le débat sur la gestion des forêts aux États-Unis est vieux et complexe et que déboiser est nécessaire pour prévenir les départs de feux, la mission du secrétaire d’État à l’Agriculture qui en a la charge est surtout d’augmenter la production de bois brut de 25%, « afin de protéger notre sécurité nationale et économique », justifie Brooke Rollins dans un mémo. La nécessité économique d’un tel abattage n’est pourtant pas établie, car elle est liée à la demande dans le secteur de la construction.
Dernier coup de boutoir : la ruée vers le plancher océanique et ses richesses. Le 24 avril, Donald Trump a signé un décret pour autoriser l’exploitation minière des grands fonds marins dans les eaux internationales. Ce, au mépris du droit et du statu quo respecté par tous les États jusqu’à présent, tant les inconnues scientifiques, technologiques et économiques d’une telle aventure sont nombreuses. Pékin a aussitôt vertement critiqué l’initiative américaine. Un nombre croissant de pays rejoignent au contraire la coalition en faveur d’un moratoire sur l’extraction océanique : les chercheurs estiment qu’elle détruirait de façon irréversible de vastes écosystèmes naturels et pourrait libérer le carbone séquestré dans les sédiments.
Lundi 28 avril, dans une conférence de presse, l’ambassadeur français pour l’océan, Olivier Poivre d’Arvor, n’a pas mâché ses mots : « Les abysses ne sont pas à vendre », a-t-il martelé, pointant un « énorme risque financier pour les entreprises qui, si elles voulaient contrevenir au droit international, se lanceraient dans ces affaires ». À ses côtés, l’ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, Bruno David, qui vient de coordonner un rapport complet sur le sujet, a tancé « une équipe à Washington dans le délire ». Le décret de trop ?
Très erratique et imprévisible, la nouvelle politique américaine « limite la capacité de notre nation à réagir, non seulement maintenant, mais aussi à l'avenir, regrette encore Gretchen Goldman, car elle démantèle l'infrastructure même par laquelle nous collectons des données, favorisons l'expertise et la collaboration, et mettons en place les personnes et les processus nécessaires pour agir ». Pour la climatologue française Valérie Masson-Delmotte, « c’est sans précédent dans un pays démocratique, en dehors de périodes fascistes ». Signes révélateurs : plus d’une centaine de mots, tels que « changement climatique », sont depuis janvier bannis du vocabulaire, des pages dédiées à l’écologie sur les sites gouvernementaux affichent une « erreur 404 ». « Ils font tout pour bloquer la communication sur la crise climatique à la population américaine, pour fausser sa perception, ils censurent toute mention du climat et conseillent aux chercheurs de ne pas évoquer leurs découvertes », atteste l’observateur contacté par RFI à Washington. « Ils ne veulent pas que les gens comprennent le lien entre les événements qu’ils vivent et le changement climatique, car alors les gens demanderont au gouvernement d’agir. Ils préfèrent nous laisser dans le noir. »
Cependant, aux yeux de nombreux observateurs, comme Gina Mc Carthy, ancienne administratrice de l’EPA, des espoirs sont largement permis. Ils résident dans l’opposition qui « se voit déjà au niveau sous-national, des États, des villes, des entreprises, des organisations, des communautés religieuses et bien d’autres ».
En effet, une large partie du pays est déjà engagée dans le processus de transition « inéluctable », renchérit notre expert climat. « On la retrouve dans America is All In, une solide coalition de gouverneurs, maires, chefs d’entreprises, engagée dans l’action climatique qui représente plus de la moitié de la population du pays et 60% du PIB. Cela va être une sacrée bataille entre le niveau sous-national, qui veut prendre les commandes sur ce sujet, et l’administration Trump qui poursuit son agenda aligné sur celui des fossiles. »
L’objectif, fixé sous le mandat Biden, de réduire de 61%-66% les émissions en 2035 par rapport à 2005 n’est donc pas mort, à en croire une prospective publiée en décembre par le Centre pour le développement durable (CGS) de l’université du Maryland. À condition « d’une forte mobilisation des acteurs locaux et non fédéraux » : « Ils pourraient contrecarrer une grande partie des conséquences de l'inaction ou du recul du gouvernement fédéral », car « les gouvernements des États américains disposent d'une autorité considérable sur les secteurs des transports et de l'électricité, tandis que les villes et les comtés ont souvent le pouvoir d'adopter des codes de construction, de mettre en œuvre des arrêtés de zonage et de déterminer l'utilisation des terres ». Un problème majeur est cependant posé par l’instabilité politique et économique, nécessaire aux investisseurs sur des projets à long terme, typiquement ceux des renouvelables.
Sur le terrain judiciaire, la confrontation a déjà commencé. Les décisions prises depuis janvier par les quelque 140 « executive orders » ne font pas loi. Elles peuvent aussi relever de la posture, du pure show à l’attention de sa base électorale. Elles devront être justifiées devant les tribunaux en cas de contestation, depuis l’échelon du district jusqu’à la Cour suprême, acquise au camp républicain. D’ailleurs, selon le décompte de la Deutsche Welle, 29% sont en jugement. « Beaucoup des mesures prises par ces décrets sont en réalité illégales. On verra donc la réponse des tribunaux, du secteur privé, des États. La situation pourrait être radicalement différente dans quelques semaines ou mois », espère Gretchen Goldman.
Pour l'heure, « pas grand-chose de tout cela ne ressemble à un programme coordonné, mais plus à des pulsions hasardeuses émanant d’individus. La politique de l'administration évoluera donc aussi beaucoup au gré des départs et des changements », souligne Jesse Young, familier des arcanes bureaucratiques. Il cite l’exemple de Peter Marocco, l’artisan du démantèlement de l’USAID et fer de lance du mouvement MAGA. Selon les sources de Politico, les tensions auraient atteint leur paroxysme avec Marc Rubio sur la façon de dégraisser l'USAID. Le 13 avril, Marocco revient à son bureau après une réunion à la Maison Blanche. Mais la sécurité l’empêche d’entrer, l'informant qu’il n’y est plus employé. Le dégraisseur dégraissé. Cela se passe comme ça, chez Mc Donald Trump.
Rfi
Son successeur a, lui aussi, pris son stylo. Mais pour signer frénétiquement un sidérant retour en arrière : « L'administration Trump a consacré ses 100 premiers jours à mener la pire attaque jamais menée par la Maison Blanche contre l'environnement et la santé publique », s’insurge Alexandra Adams, du Conseil de défense des ressources naturelles (NRDC, fondé en 1970, qui revendique 700 scientifiques et 3 millions de membres), qui vient de mettre en ligne White House Watch, « un inventaire en temps réel des décrets, propositions et actions de l’administration ». Il en résulte que cette dernière « a mis en œuvre, en moyenne, au moins une action ou proposition destructrice par jour au cours de ses trois premiers mois ». En voici une synthèse, non exhaustive.
Un mandat Trump II beaucoup plus offensif sur la finance et la diplomatie climatiques
Le 20 janvier dernier, jour de son investiture, le 47e président américain enquille la signature d’une trentaine de décrets. Parmi eux, le retrait, pour la seconde fois, des États-Unis de l’accord de Paris, qu’il qualifie d'« escroquerie injuste et unilatérale ». Premier coup de canif symbolique du motto trumpiste : seuls les intérêts de l’Amérique comptent en vue d’une « domination énergétique ». Pourtant, même le PDG du pétrolier Exxon Mobil s’est dit favorable au maintien des États-Unis dans l’accord.
« L'approche de la diplomatie climatique internationale sous Trump II est fondamentalement différente de celle de Trump I, explique Jesse Young, l’ancien directeur de cabinet de John Podesta, envoyé spécial du président Biden pour le climat. Sous Trump I, il y avait beaucoup de rhétorique belliqueuse. Les États-Unis se sont retirés de l'accord de Paris, mais nous étions restés engagés dans la plupart des forums mondiaux et nous avions participé aux négociations. Cette fois-ci, cette administration est totalement désengagée. Elle ne se contente pas de se retirer activement de ces négociations, elle menace les autres pays qui y participent d'utiliser les tarifs douaniers, comme lors des dernières négociations de l'OMI. On ne sait même pas si les États-Unis enverront une délégation officielle à la Conférence des parties [la COP30, au Brésil, en novembre, NDLR] », poursuivait-il, lors d’une conférence de presse en ligne le 23 avril.
Cette crainte s’est trouvée renforcée deux jours plus tard, vendredi dernier, lorsque le gouvernement américain a confirmé la suppression du bureau chargé de la diplomatie climatique, qui représente les États-Unis lors des conférences climat de l’ONU. « Nous ne participerons pas à des accords et initiatives internationales qui ne reflètent pas les valeurs de notre pays », a justifié un porte-parole du département d'État, estimant qu'il était désormais « inutile ».
Dès fin février, on pouvait douter de cette participation du premier pollueur historique mondial aux plus importantes négociations climatiques. Il avait alors interdit aux scientifiques américains de participer à la 62e réunion du GIEC, en Chine. Kate Calvin, conseillère spéciale de la Nasa sur le climat, devait faire partie du voyage. Elle sera licenciée deux semaines plus tard, dans le cadre de « l’optimisation des effectifs » réclamée par le nouvel exécutif.
Au niveau international, les États-Unis multiplient les postures hostiles au multilatéralisme et aux efforts de solidarité internationale. Le 27 janvier, le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, adresse ce message au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres : « Le gouvernement des États-Unis annule toutes les promesses en suspens au Fonds vert pour le climat. » Ce mécanisme onusien d’aide à l’adaptation climatique des pays moins développés se voit délesté de deux milliards de dollars américains (montant réellement versé par Washington au fonds, sur les six milliards promis par Barack Obama et Joe Biden).
Le 6 mars, Washington se désengage des Partenariats pour une transition énergétique juste (JET-P) avec l’Afrique du Sud et l’Indonésie, l’un des rares succès tangibles des dernières COP, pour aider ces pays à stopper le recours au charbon.
Citons également l’annulation de la contribution américaine (déjà faible) de 16 millions d’euros au Fonds pertes et préjudices. Créé à la COP27 en 2022 après 30 ans d’attente des États insulaires menacés de submersion marine, il vise à permettre aux pays les plus touchés par les dégâts climatiques de se reconstruire. Il vient juste de voter un premier décaissement de 250 millions de dollars.
Bien plus fatal sur le plan financier fut la suspension immédiate de presque toutes les aides financières de l’USAID. Qualifiée d’« organisation criminelle » par Elon Musk, la plus grande agence d’aide au développement du monde, dotée de 35 milliards de dollars de budget en 2024, fournissait plus de 40% de l’aide humanitaire dans 158 pays. Le 10 mars, 83% des programmes de l’USAID sont supprimés par le secrétaire d’État Marco Rubio, les 17% restants étant transférés sous la tutelle du département d’État, sans attendre l’issue du recours judiciaire.
Parmi ses nombreuses lignes de crédit, trois milliards de dollars allaient à l’action climatique en 2023 – soit un tiers de la participation américaine à la finance climatique, selon les décomptes du site d’expertise Carbon Brief. Or, dans sa stratégie climat 2022-2030, l’USAID s’engageait notamment à coopérer avec ses pays partenaires en vue de réduire, éviter de produire ou fixer 6 milliards de tonnes de CO2 ; conserver, restaurer ou gérer 100 millions d’hectares présentant un avantage en termes d’atténuation du changement climatique ; améliorer la résilience de 500 millions de personnes ; mobiliser 150 milliards de dollars en financements publics et privés.
« En mettant fin unilatéralement à tous les financements dans les domaines du climat, de l'énergie et de la finance, nous paralysons la capacité de nombre de nos partenaires les plus importants à répondre à leur première priorité politique. Cet argent était vraiment précieux, même s'il ne se chiffrait pas nécessairement en milliards comme nous l'aurions voulu », assène Jesse Young, qui conseillait également John Kerry, ex-chef de la diplomatie climatique démocrate.
Enfin, l’expert observe que toute la politique trumpienne, qui vise à isoler le rival économique chinois, aboutit au résultat contraire : « Tout cela améliore l’image de la Chine alors qu’elle n’a rien fait pour. L'an dernier, la construction de centrales à charbon en Chine a atteint son plus haut niveau en dix ans. Elle finance 90% des centrales à charbon hors de ses frontières. C'est un acteur profondément mauvais sur ces questions, et nous redorons sa réputation par notre propre incompétence. »
Pékin pourrait surtout profiter de la chaise qui serait laissée vide à la COP30 pour s’y asseoir et influencer les négociations dans le sens de ses intérêts, craint un haut responsable cité par Politico : « C’est complètement stupide. » « Si vous vous retirez pour rester à la maison, les autres seront toujours là et la fête ne s’arrêtera pas. Nous allons simplement perdre de notre influence », soupire Jesse Young. « Les Etats-Unis sont en train de s’isoler eux-mêmes du reste du monde », constate lui aussi dépité un expert américain de haut niveau des questions énergétiques et climatiques sollicité par RFI.
Sur le plan intérieur, Donald Trump et son bras armé Elon Musk ont rapidement orchestré le démantèlement systémique des agences fédérales climatiques et environnementales : coupes budgétaires, licenciements, interdiction de l’usage de certains mots, effacements massifs de données de recherches et de pages internet…
« Nous assistons à une attaque généralisée contre les activités climatiques et la science fédérales en général, résume sur un ton funeste la docteure Gretchen Goldman, présidente de l’Union des scientifiques préoccupés. L'ampleur, la rapidité et l'imprudence des réductions de personnel et du travail essentiel des agences gouvernementales américaines sont dangereuses et nuisent déjà à la population de tout le pays, au profit des seuls pollueurs d'énergies fossiles et des milliardaires », poursuit celle qui travaillait jusqu’en janvier au ministère des Transport de l’administration Biden.
Grande victime de ce « ratiboisement » tous azimuts : la NOAA, mastodonte américain des sciences de l’atmosphère et de l’océan. Depuis le 27 février, elle a perdu 20% de ses 12 000 personnels. Parmi eux, le météorologue Tom Di Liberto, responsable du pavillon américain lors de la dernière COP. Les conséquences de ces mesures draconiennes « se font déjà sentir, assure-t-il, en particulier pour le Service de météo national. On ne peut plus donner les prévisions de nos bureaux locaux 24h/24 et 7j/7. On ne peut plus envoyer autant de ballons-sonde [dans le ciel pour faire des mesures, NDLR]. On ne peut plus évaluer les dégâts d’une tornade. » Les habitants du Tennessee se souviennent de la nuit du 2 mars 2020 : sept tornades avaient balayé l’État, prenant la vie de 25 personnes, malgré les alertes insistantes du Service météo national pour une mise à l’abri selon une trajectoire bien précise.
Qu’importe : dans son projet de budget 2026, le gouvernement prévoit de retrancher 25% (1,7 milliard sur 4,5 milliards) par rapport à 2025. Un objectif « dévastateur », selon le terme de plusieurs hauts responsables de l’agence cités par la presse américaine. S’il doit en théorie obtenir l’aval du Congrès et faire face à des contestations préalables en justice, ce projet « indique clairement que les mesures doivent être prises le plus rapidement possible, c'est-à-dire au cours de l'année fiscale actuelle. Grâce à la résolution permanente (« continuing resolution »), il n'est pas nécessaire d'attendre l'adoption du [prochain] budget pour procéder à ces réductions. Certaines de ces mesures peuvent être prises dès maintenant, et le seront très probablement », grimace Tom Di Liberto. Le Congrès des États-Unis, à majorité républicaine, ayant fait allégeance au pouvoir exécutif, il ne représente pas un obstacle alors même qu’il détient le pouvoir constitutionnel de la bourse, soit celui de décider des dépenses fédérales.
Ce plan d’économie radical et autoritaire cible particulièrement le pôle recherche de la NOAA, l’Oceanic and Atmospheric Research (OAR) : les trois quarts de son financement (171 millions de dollars) disparaitraient, menaçant directement la raison d’être de l’agence. Ces réductions « nous ramèneraient aux années 1950 », a réagi l’ancien directeur de ce pôle Craig McLean. L’OAR est crucial « non seulement pour faire avancer la science sur le climat, mais aussi sur la météo et les océans, ainsi que la capacité à aider à renforcer la résilience et l'adaptation à travers le pays et nos interactions au niveau international », alerte Tom Di Liberto. Là encore, des conséquences très concrètes pour les chercheurs : « Le réseau informatique de la NOAA a été touché. Donc, si un satellite tombe en panne, il y a moins de personnel pour le réparer aussi rapidement. Si des bouées tombent en panne, par exemple dans l'océan Pacifique, nous ne pouvons pas envoyer de navire sur place dans un délai relativement court pour les réparer. Cela signifie que nous allons avoir d'importantes lacunes dans les données. » Des laboratoires et leurs sites de référence sont menacés, comme le Global Monitoring Laboratory, qui publie chaque année la concentration de CO2 dans l’atmosphère.
Ces pertes irremplaçables auront un effet domino très négatif pour le réseau de collaboration internationale : « La recherche américaine pèse pour environ un quart de la recherche sur le changement climatique dans le monde », expliquait récemment sur RFI la climatologue française Valérie Masson-Delmotte. « La directrice du Centre européen de prévision météorologique rapporte qu'il y a déjà 10% de mesures atmosphériques opérées en moins par les services météorologiques publics américains. C'est autant de données en moins que peuvent utiliser les modèles de prévisions météorologiques européens et des autres régions du monde. Cela signifie donc une perte de qualité de la prévision météorologique partout. » « Il est très peu probable que l’on voit des choses sortir de la NOAA comme elle le faisait par le passé », confirme Tom Di Liberto.
Le Service national de l’industrie de la pêche, une branche de la NOAA, serait aussi concerné avec un budget réduit de 30%. Il est pourtant indispensable au fonctionnement d’un vaste secteur économique.
À l’instar de la NOAA, aucun des principaux organismes, institutions, services fédéraux œuvrant pour l’environnement ou même la santé publique n’est épargné. Même l’Agence fédérale de gestion des urgences (Fema), qui porte assistance aux victimes de catastrophes naturelles, est touchée : après un plan de départs volontaires, elle devrait perdre 1 000 employés, soit 20% de ses effectifs, dont de nombreux expérimentés.
Au total, les postes supprimés se comptent par dizaines de milliers. Cent trente-quatre mille cinq cent quatre-vingt-six, selon le décompte du New York Times au 28 avril. En réalité, de nombreux contentieux sont en cours, rendant impossible un comptage précis. Environ la moitié ont d’ailleurs été réintégrés. « Cela évolue très vite, avec des va-et-vient constants, rapporte Gretchen Goldman. On entend souvent parler des cas catastrophiques qui occupaient une fonction critique, dans le nucléaire ou le trafic aérien. » Tom Di Liberto incarne l’exemple type du chaos bureaucratique en cours à la NOAA : licencié le 27 février, juste avant la fin de sa période d’essai, il est réembauché le 17 mars après une décision du tribunal, puis à nouveau remercié le 10 avril après que cette même décision a été suspendue. « À la NOAA, il y a un groupe Signal des employés en période d’essai qui ont été virés avec une liste des responsabilités et des tâches que ces gens avaient. En plus du climat et de la météo, il y a aussi ceux qui travaillaient sur le rapport à l’attention du Congrès qui liste les espèces protégées [depuis 1973], sur celui sur la gestion des zones côtières, etc. Toute la NOAA a été touchée de façon indiscriminée. Mais entre ceux qui étaient en période d’essai, ceux qui sont partis en retraite anticipée qui ne sont pas ceux que l’on va retrouver sur Signal, c’est assez difficile de savoir qui est parti… »
Certains démissionnent. Dernier en date : Sethuraman Panchanathan, le patron de la National Science Foundation (NSF). Pourtant nommé par Donald Trump en 2020, « Pan » a jeté l’éponge le 24 avril. Commentaire du magazine Science : « Bien qu’[il] n’ait pas donné de raison pour son départ soudain, les ordres de la Maison Blanche de réduire de 55% du budget de 9 milliards de dollars de l’agence l’année prochaine et de licencier la moitié de son personnel de 1 700 personnes ont peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans une série de directives auxquelles Panchanathan estimait ne plus pouvoir obéir. » La NSF finance la recherche fondamentale aux États-Unis. L’an dernier, elle avait débloqué 78 millions de dollars pour des projets d’adaptation au changement climatique.
Placée sous le patronage de Lee Zeldin, anti-écologiste à l’extrême, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) souffre elle aussi : l’administration réclame 65% d’économie sur ses effectifs et ses opérations. En trois mois jours, 1,5 milliard de subventions ont été définitivement abandonnées, et 20 milliards de financement pour l’énergie propre ont été gelés. Elle vient ainsi d’annuler un projet d’adaptation à 1,5 million de dollars pour la ville de Houston, quatrième ville des États-Unis et grand centre pétrolifère, dont l’agglomération est l’une des plus polluées des États-Unis. Celui-ci impliquait l’installation de panneaux solaires et la plantation d’arbres pour faire face aux chaleurs mais aussi aux inondations, régulières dans cette ville marécageuse : plus de 300 000 propriétés sont exposées…
« Le gouvernement fédéral joue un rôle vital en finançant la recherche qui ne serait pas intéressante pour le secteur privé, mais critique pour le service public. Avec la réduction des subventions, c’est toute la chaîne du progrès scientifique qui est touché », regrette Gretchen Goldman, ancienne directrice climat et technologies au ministère des Transports.
La 6e Évaluation climatique nationale menacée, relance du charbon… : les politiques climatiques sous le feu pour « libérer l’énergie américaine »
Ce lundi 28 avril, l'administration Trump a annoncé, via un simple e-mail, qu'elle « libérait de leurs fonctions » les auteurs de la 6e Évaluation nationale sur le changement climatique, prévue pour 2028. Cette synthèse de rapports de quatorze agences fédérales est rédigée tous les quatre ou cinq ans par près de 400 scientifiques, bénévoles, et chapeautée par le Programme de recherche sur le changement global, créé dès 1990 par le Congrès. Le document sert de ligne directrice fondamentale aux élus chargés d’écrire les lois, aux entreprises et aux gouvernements locaux pour planifier les différentes stratégies de réponse au changement climatique à travers l’immense territoire états-unien. Un rapport pourrait bien sortir des tuyaux, mais réécrit selon les vues d’un pouvoir climato-dénialiste et non à partir des faits existants, craignent des scientifiques interrogés par le New York Times. « Des vies seront perdues », prévoit Rachel Cleetus, chargée climat et énergie à l’Union des scientifiques préoccupés, et qui contribuait à l’ouvrage.
Avec les institutions, le travail de sape agit donc aussi sur la législation environnementale existante. Le 12 mars marque un jour noir dans ce domaine : le gouvernement annonce le détricotage de 31 réglementations majeures dans pour la protection de l’environnement et la santé publique. À la manœuvre, Lee Zeldin, chef de l’EPA, agence dont la mission finale est de protéger l’environnement et la santé de la population. Dans une allocution vidéo, il saluait la « journée de déréglementation la plus importante et la plus conséquente de l’histoire des États-Unis », « un coup de poignard dans la religion du changement climatique », promettant de « libérer l’énergie américaine » en « revitalisant l’industrie automobile » et en supprimant le Clean Power Plan, héritage d’Obama et de Biden pour assainir la production d’électricité dans les États. Ce jour-là, les normes sur les émissions des centrales à charbon sont assouplies, comme celles des voitures ou celles du mercure des centrales électriques, et le périmètre du Clean Water Act, loi qui interdisait notamment de déverser des polluants dans les eaux navigables des États-Unis, est appelé à être redéfini.
Les mesures présidentielles ne visent pas seulement à déconstruire des politiques favorables à la protection de l’environnement sur le sol national et au-delà, mais à en relancer d’autres qui étaient vouées à rester sous terre. Le 20 janvier, « libérer l’énergie américaine » a été décrétée comme une « urgence nationale ». « Il n’y a aucune urgence énergétique comme cela a pu être le cas dans les années 1970, les États-Unis exportent aujourd’hui plus d’énergies qu’ils n’en importent », balaie notre spécialiste qui a plusieurs fois témoigné devant le Congrès sur ces sujets. « Il y a bien plus une urgence climatique dont Donald Trump essaie de bloquer les réponses en promouvant les énergies fossiles qui empirent la véritable urgence. » Le pays n’est effectivement pas épargné par les événements extrêmes, des méga-feux à l’ouest aux tempêtes de plus en plus fortes au sud-est, sans parler de la montée de l’eau sur son pourtour et du bouleversement du cycle de l’eau douce et de différents écosystèmes.
Mais Donald Trump est, depuis longtemps, pieds et poings liés avec l’industrie des combustibles fossiles à qui il avait demandé un milliard de dollars pour financer sa campagne en échange d’une levée des contraintes environnementales – il en aurait obtenu 75 millions. Appuyé par son secrétaire d’État à l’Énergie, Chris Wright, ex-PDG de Liberty Energy, spécialisée dans l’activité nocive de fracturation hydraulique, il applique à la lettre son mantra de campagne : « Fore, chérie, fore. » Il signe le 8 avril une nouvelle série de décrets pour « doper » l’extraction de charbon. « Je dis à mon peuple : "N’utilisez jamais le mot charbon sans le faire précéder des mots beau et propre". C’est pas cher, incroyablement efficace, dense et presque indestructible », avait-il déclaré, entouré d’hommes en tenue de mineur de fond. Le charbon est surtout le pire combustible pour la planète et le vivant. Les 480 centrales américaines sont responsables de la mort de 460 000 personnes entre 1999 et 2020, selon une étude universitaire. Le Royaume-Uni est le premier pays du G7 à avoir fermé sa dernière centrale, le 30 septembre 2024. Aux États-Unis, sa production avait chuté de moitié entre 2008 et 2023, et ne fournissait plus que 16% de l’électricité américaine, derrière les énergies renouvelables (21%).
Dans cette logique, exit les projets d’énergies renouvelables et l’abaissement du prix des médicaments, buts de l’Inflation Reduction Act de 2022, réplique concurrente du Green Deal européen, avec ses 370 milliards de dollars fléchés pour le climat. Il est méticuleusement enterré et conspué par ses fossoyeurs. Dans les États, nombre de projets solaires ou éoliens sont à l’arrêt, des investissements perdus. Le résultat devrait aboutir à renforcer la domination déjà éclatante de la Chine dans la production du matériel photovoltaïque.
L’industrie du bois n’est pas en reste. Alors que les forêts sont notre assurance vie sur cette planète, la déforestation est officiellement incitée depuis un décret du 1er mars. Si le débat sur la gestion des forêts aux États-Unis est vieux et complexe et que déboiser est nécessaire pour prévenir les départs de feux, la mission du secrétaire d’État à l’Agriculture qui en a la charge est surtout d’augmenter la production de bois brut de 25%, « afin de protéger notre sécurité nationale et économique », justifie Brooke Rollins dans un mémo. La nécessité économique d’un tel abattage n’est pourtant pas établie, car elle est liée à la demande dans le secteur de la construction.
Dernier coup de boutoir : la ruée vers le plancher océanique et ses richesses. Le 24 avril, Donald Trump a signé un décret pour autoriser l’exploitation minière des grands fonds marins dans les eaux internationales. Ce, au mépris du droit et du statu quo respecté par tous les États jusqu’à présent, tant les inconnues scientifiques, technologiques et économiques d’une telle aventure sont nombreuses. Pékin a aussitôt vertement critiqué l’initiative américaine. Un nombre croissant de pays rejoignent au contraire la coalition en faveur d’un moratoire sur l’extraction océanique : les chercheurs estiment qu’elle détruirait de façon irréversible de vastes écosystèmes naturels et pourrait libérer le carbone séquestré dans les sédiments.
Lundi 28 avril, dans une conférence de presse, l’ambassadeur français pour l’océan, Olivier Poivre d’Arvor, n’a pas mâché ses mots : « Les abysses ne sont pas à vendre », a-t-il martelé, pointant un « énorme risque financier pour les entreprises qui, si elles voulaient contrevenir au droit international, se lanceraient dans ces affaires ». À ses côtés, l’ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, Bruno David, qui vient de coordonner un rapport complet sur le sujet, a tancé « une équipe à Washington dans le délire ». Le décret de trop ?
Très erratique et imprévisible, la nouvelle politique américaine « limite la capacité de notre nation à réagir, non seulement maintenant, mais aussi à l'avenir, regrette encore Gretchen Goldman, car elle démantèle l'infrastructure même par laquelle nous collectons des données, favorisons l'expertise et la collaboration, et mettons en place les personnes et les processus nécessaires pour agir ». Pour la climatologue française Valérie Masson-Delmotte, « c’est sans précédent dans un pays démocratique, en dehors de périodes fascistes ». Signes révélateurs : plus d’une centaine de mots, tels que « changement climatique », sont depuis janvier bannis du vocabulaire, des pages dédiées à l’écologie sur les sites gouvernementaux affichent une « erreur 404 ». « Ils font tout pour bloquer la communication sur la crise climatique à la population américaine, pour fausser sa perception, ils censurent toute mention du climat et conseillent aux chercheurs de ne pas évoquer leurs découvertes », atteste l’observateur contacté par RFI à Washington. « Ils ne veulent pas que les gens comprennent le lien entre les événements qu’ils vivent et le changement climatique, car alors les gens demanderont au gouvernement d’agir. Ils préfèrent nous laisser dans le noir. »
Cependant, aux yeux de nombreux observateurs, comme Gina Mc Carthy, ancienne administratrice de l’EPA, des espoirs sont largement permis. Ils résident dans l’opposition qui « se voit déjà au niveau sous-national, des États, des villes, des entreprises, des organisations, des communautés religieuses et bien d’autres ».
En effet, une large partie du pays est déjà engagée dans le processus de transition « inéluctable », renchérit notre expert climat. « On la retrouve dans America is All In, une solide coalition de gouverneurs, maires, chefs d’entreprises, engagée dans l’action climatique qui représente plus de la moitié de la population du pays et 60% du PIB. Cela va être une sacrée bataille entre le niveau sous-national, qui veut prendre les commandes sur ce sujet, et l’administration Trump qui poursuit son agenda aligné sur celui des fossiles. »
L’objectif, fixé sous le mandat Biden, de réduire de 61%-66% les émissions en 2035 par rapport à 2005 n’est donc pas mort, à en croire une prospective publiée en décembre par le Centre pour le développement durable (CGS) de l’université du Maryland. À condition « d’une forte mobilisation des acteurs locaux et non fédéraux » : « Ils pourraient contrecarrer une grande partie des conséquences de l'inaction ou du recul du gouvernement fédéral », car « les gouvernements des États américains disposent d'une autorité considérable sur les secteurs des transports et de l'électricité, tandis que les villes et les comtés ont souvent le pouvoir d'adopter des codes de construction, de mettre en œuvre des arrêtés de zonage et de déterminer l'utilisation des terres ». Un problème majeur est cependant posé par l’instabilité politique et économique, nécessaire aux investisseurs sur des projets à long terme, typiquement ceux des renouvelables.
Sur le terrain judiciaire, la confrontation a déjà commencé. Les décisions prises depuis janvier par les quelque 140 « executive orders » ne font pas loi. Elles peuvent aussi relever de la posture, du pure show à l’attention de sa base électorale. Elles devront être justifiées devant les tribunaux en cas de contestation, depuis l’échelon du district jusqu’à la Cour suprême, acquise au camp républicain. D’ailleurs, selon le décompte de la Deutsche Welle, 29% sont en jugement. « Beaucoup des mesures prises par ces décrets sont en réalité illégales. On verra donc la réponse des tribunaux, du secteur privé, des États. La situation pourrait être radicalement différente dans quelques semaines ou mois », espère Gretchen Goldman.
Pour l'heure, « pas grand-chose de tout cela ne ressemble à un programme coordonné, mais plus à des pulsions hasardeuses émanant d’individus. La politique de l'administration évoluera donc aussi beaucoup au gré des départs et des changements », souligne Jesse Young, familier des arcanes bureaucratiques. Il cite l’exemple de Peter Marocco, l’artisan du démantèlement de l’USAID et fer de lance du mouvement MAGA. Selon les sources de Politico, les tensions auraient atteint leur paroxysme avec Marc Rubio sur la façon de dégraisser l'USAID. Le 13 avril, Marocco revient à son bureau après une réunion à la Maison Blanche. Mais la sécurité l’empêche d’entrer, l'informant qu’il n’y est plus employé. Le dégraisseur dégraissé. Cela se passe comme ça, chez Mc Donald Trump.
Rfi