Covid-19 : Andrew Cuomo, le gouverneur démocrate qui fait de l'ombre à Donald Trump

Rédigé par Dakarposte le Mardi 14 Avril 2020 à 17:24 modifié le Mardi 14 Avril 2020 17:45

Andrew Cuomo, le gouverneur démocrate de l’État de New York, épicentre de la pandémie de coronavirus aux États-Unis, s'est imposé, grâce à ses conférences de presse quotidiennes, comme le général en chef de la guerre déclarée au Covid-19. L'exposition médiatique et sa nouvelle popularité lui offrent désormais une stature nationale qui concurrence celle du président Donald Trump.


Alors que l’État de New York est l’État américain le plus endeuillé par la pandémie de coronavirus avec plus de 10 000 morts liés au Covid-19, son gouverneur, le démocrate Andrew Cuomo, occupe désormais le devant de la scène médiatique nationale.

Depuis plusieurs semaines, ses conférences de presse matinales et quotidiennes sur l'épidémie sont devenues des rendez-vous incontournables, au point même d’être parfois diffusées par la chaîne ultraconservatrice Fox News. Un comble pour le président Donald Trump, désormais en croisade contre cette chaîne qui a contribué à le faire élire, et contre la quasi-totalité des médias américains.

Transparent, pédagogique et empathique, le discours d’Andrew Cuomo, 62 ans, tranche avec les revirements de Donald Trump, accusé outre-Atlantique d’avoir largement sous-estimé la dangerosité du nouveau coronavirus et d’avoir tardé à agir.

Lundi 13 avril, la conférence de presse du gouverneur, retransmise depuis Albany, la capitale de son État, a une nouvelle fois été suivie dans tout le pays, alors que le briefing de Donald Trump, programmé quelques heures plus tard, a essentiellement consisté en une longue plainte du président contre la couverture médiatique de sa gestion de crise. Le tout ponctué d’une vidéo louant l’action du président, qui a poussé les chaînes CNN et MSNBC à en interrompre la diffusion en direct depuis la Maison Blanche, en la qualifiant de "propagande".

Vers un conflit ouvert avec Donald Trump ?

C'est dans ce contexte houleux qu'Andrew Cuomo, en poste depuis 2010 et réélu pour la troisième fois d’affilée en 2018, s'est rapidement imposé comme le général en chef de la lutte contre le nouveau coronavirus aux États-Unis.


Systématiquement appuyé par des schémas et des graphiques lors de ses points-presse, l'avocat de formation et amateur de Harley Davidson n’hésite pas à faire appel au registre personnel pour réconforter les Américains. En évoquant des anecdotes familiales, ou en invitant, le 19 mars, sa fille de 22 ans à ses côtés pour mieux convaincre les plus jeunes de rester prudents en ces temps de crise. "Ma fille, vous savez, elle est tout pour moi", avait-il dit, en précisant qu’elle avait annulé ses vacances en raison de la pandémie.

Dénonçant les lenteurs et l’inefficacité de la réponse fédérale à la crise sanitaire, le gouverneur new-yorkais s'est toutefois gardé d'attaquer personnellement le président Trump, malgré quelques échanges secs sur les réseaux sociaux entre les deux hommes. Un calcul habile qui a permis à New York de bénéficier de fonds fédéraux et de l’envoi d’un navire-hôpital.

Mais la donne semble avoir changé depuis que Donald Trump, déterminé à diriger depuis la Maison Blanche le déconfinement des Américains, malgré une autorité limitée en la matière, s'est dit prêt à aller au conflit avec les gouverneurs, à commencer par Andew Cuomo.



"Cuomo a appelé tous les jours, voire toutes les heures, pour demander tout ce qui aurait dû être pris en charge par l'État, comme les nouveaux hôpitaux, les lits, les ventilateurs, etc. J'ai tout fait pour lui, et pour tous les autres, et maintenant il semble vouloir l'indépendance ! Cela n'arrivera pas !", a tweeté, ce mardi, le président.

"La position du président est tout simplement absurde. Ce n'est pas ce que dit la loi. Ce n'est pas ce que dit la Constitution. Nous n'avons pas un roi, nous avons un président", avait lancé dans la matinée, sur CNN, le gouverneur de l'État de New York.

Ce dernier s’est démené pour augmenter le nombre de lits d’hôpitaux, pour commander des respirateurs et fournir du matériel de protection aux soignants débordés, tout en fixant les règles de distanciation sociale.

Même si d’autres gouverneurs, notamment Gavin Newsom en Californie, ont été plus prompts à réagir et à prendre des mesures de confinement face à l’avancée du virus, c’est bien lui qui est encensé par les médias.


Célébré comme une rock star, il est cette semaine à la une du fameux magazine culturel américain Rolling Stone. "Cuomo est devenu une source de réconfort improbable en ces temps extrêmement troublés, l'adulte qui nous parle franchement", souligne le magazine. 

#PresidentCuomo

Certains de ses adversaires républicains ont même salué sa gestion de crise, comme Nicole Malliotakis, figure républicaine de Staten Island, ou encore Nikki Haley, l’ancienne ambassadrice américaine aux Nations unies (2016-2018), qui fut un temps la femme la plus en vue de l’administration Trump.

Sur les réseaux sociaux, de plus de plus d’Américains espèrent voir Andrew Cuomo franchir le palier de la Maison Blanche et ce, le plus tôt possible. Ils le font notamment savoir avec les hashtags #PresidentCuomo et #CuomoForPresident.

Dans la presse américaine, des observateurs voient en lui le véritable opposant à Donald Trump. Des partisans du gouverneur new-yorkais, dont la cote de popularité explose dans les sondages (elle est passée de 44 % en février à 71 % fin mars, selon un sondage du Siena College Research Institute), ont d'ailleurs caressé l’espoir de le voir carrément remplacer Joe Biden comme candidat démocrate à la présidentielle.

Un scénario déjà très improbable, qui l'est devenu encore plus depuis que l’ancien vice-président, confiné dans sa maison du Delaware, a été officiellement adoubé lundi par Bernie Sanders, son rival des primaires. Puis que Barack Obama lui a apporté son soutien dans un communiqué rendu public mardi.

La nouvelle notoriété du gouverneur de l'État de New York est d'ailleurs instrumentalisée par Donald Trump pour rabaisser Joe Biden. Le président américain a ainsi récemment déclaré dans l'émission "Fox and Friends" qu’Andrew Cuomo "serait un meilleur candidat que Sleepy Joe [sobriquet présidentiel pour désigner Joe Biden]", plus difficile à battre selon lui.

Pourtant, la course à la Maison Blanche ne figure pas pour l’instant sur son agenda politique, assure le gouverneur italo-américain, petit-fils d’épiciers venus de Campanie, dans le sud de l’Italie, et fils de Mario Cuomo, défunt gouverneur de l'État de New York entre 1983 et 1994. Interrogé à maintes reprises sur cette question, Andrew Cuomo qualifie les spéculations sur un éventuel destin présidentiel de "flatteuses" mais "hors de propos", répétant que sa priorité actuelle est de venir à bout de la crise sanitaire, de préparer l’après-coronavirus et d’aller au bout de son mandat.

"Je prends mon travail très au sérieux. Je ne cherche pas d'excuses", a-t-il déclaré. "Si j'échoue, j'échoue. Si quelque chose se casse ou ne fonctionne pas, c'est moi qui en suis responsable. Je vois le nombre de morts chaque jour et je le prends personnellement."

Andrew Cuomo a également exclu de servir au sein d’une éventuelle administration Biden, même s’il a très tôt soutenu la candidature de l’ancien vice-président aux primaires démocrates, qu’il a récemment qualifié de "grand serviteur" de la nation sur l’antenne de CNN, dans l’émission animée par son frère, le journaliste Chris Cuomo, lui-même contaminé par le coronavirus. De son côté, Joe Biden, quelque peu éclipsé de la scène médiatique par le gouverneur, a salué le rôle joué par ce dernier dans la crise du Covid-19, en évoquant une "leçon de leadership".

Métamorphose d’un second couteau démocrate

La cote de l'ancien ministre du Logement de Bill Clinton, qui a grandi dans le Queens à New York, comme Donald Trump, n’a pas toujours été aussi haute. En retrait de la scène politique nationale jusqu’au début de la crise sanitaire, son tempérament rugueux et son ton cassant semblaient devoir le cantonner à un rôle de second plan au sein du Parti démocrate.

D’autant plus que, localement, l’aile gauche du camp démocrate, incarnée par l’étoile montante du Congrès Alexandria Ocasio-Cortez, lui donne souvent du fil à retordre. Et ce, malgré l’adoption de plusieurs lois progressistes, comme celle fixant le salaire minimum dans l’État à 15 dollars, la légalisation du mariage gay ou encore des mesures restrictives contre les armes à feu.

Une aile gauche qui lui reproche notamment des suppressions de remboursements de frais de santé et la perte de quelque 20 000 lits d'hôpitaux survenue au cours des deux dernières décennies. Ses critiques rappellent également qu’en 2014, Andrew Cuomo avait étrangement démantelé une commission qu'il avait lui-même formée pour enquêter sur la corruption politique dans l'État de New York.

"Il était trop pragmatique pour l'aile progressiste de son parti, trop égocentrique pour les dirigeants du parti et trop brusque pour presque tout le monde (…). Mais aujourd'hui, il s'impose comme la voix la plus importante du parti en temps de crise”, écrit le New York Times, dans un article dédié à sa métamorphose en "homme politique du moment”.

Pourtant, Andrew Cuomo, qui a également été procureur de l'État de New York avant d’en devenir le gouverneur, l’assure : il n’a pas changé. "Je ne fais rien de différent de ce que j'ai déjà fait", a-t-il déclaré à la presse. "C'est juste un plus grand public. Et c'est une période plus intense."

L'attention et le respect d’un plus grand public qui pourraient dans un premier temps booster la campagne de son ami Joe Biden, avant peut-être de pousser le gouverneur à revoir à la hausse ses ambitions personnelles et rêver à un destin présidentiel à partir de 2024.
Mamadou Ndiaye
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