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(ENTRETIEN) Niagalé Bagayoko : « Le refus de la France de dialoguer avec les djihadistes correspond à la lecture hexagonale de la situation au Sahel »

Rédigé par Dakarposte le Samedi 26 Juin 2021 à 14:20

Au Mali, les militaires à l’origine du putsch du 18 août 2020 qui a eu raison du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta ont opéré un nouveau coup de force et sont revenus au pouvoir. Ce qui est acté par la désignation du Colonel Assimi Goïta, président de la Transition.
Le président du comité stratégique du M5 - RFP, Choguel Maïga a été nommé Premier ministre et il a procédé à la formation d’un gouvernement dans lequel il a été constaté le retour du Colonel Sadio Camara, absent du deuxième gouvernement de Moctar Ouane. Ce changement de cap de la Transition n’a pas laissé indifférente la communauté internationale, avec des réactions différentes. Si la CEDEAO a préféré jouer la carte de la « compréhension », la France a été moins conciliante avec les nouvelles autorités de la transition. L’Hexagone a tapé du poing sur la table et a pris une série de décisions dont la plus commentée est le rabais des troupes françaises engagées au Sahel dans le cadre de Barkhane. Pour Paris, il n’est pas question que ses soldats soient engagés aux côtés d’armées dont les Etats négocient avec des djihadistes. Que doit-on comprendre de cette succession d'événements ? La transition ira-t-elle à son terme ? Choguel Maïga est-il le meilleur choix pour une Transition aboutie ? Pourquoi Paris s’est « radicalisé » vis -à -vis de Bamako ? Qu’est ce qui explique la position de la France sur les négociations avec les djihadistes ? Présidente de l’African Security Sector Network (ASSN), Niagalé Bagayoko a répondu à ces interrogations dans cet entretien avec Dakaractu.


Après la destitution du président Bah N’daw et de son Premier ministre, le Colonel Assimi Goïta a été investi nouveau chef d’État malien et a nommé un Premier ministre en la personne de Choguel Maïga. Êtes vous optimiste quant à la conduite de la transition actuelle à son terme ? 

 

Je ne suis pas nécessairement optimiste dans la mesure où de nombreuses interrogations pèsent sur la façon dont cette transition va être menée. La transition actuelle est supposée se clore par la tenue d’élections au plus tard le 27 février 2022. Il s’agit d’un laps de temps extrêmement court pour organiser ce scrutin. Par ailleurs, il n’est pas évident que les aménagements institutionnels nécessaires aient pu être faits d’ici là. D’autre part, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si la démocratie peut uniquement se mesurer à l’aune de la tenue d’élections. Ce qu’il est absolument essentiel de considérer est la façon dont l’État de droit va être respecté ou non pendant la période au cours de laquelle les militaires vont conserver le pouvoir. 

 

Le choix de Choguel Maïga pour piloter le troisième gouvernement de la Transition est-il selon vous le plus approprié ? 

 

Ce qui est intéressant dans cette nomination est le fait que Choguel Maïga qui a été l’une des figures les plus critiques de la transition depuis le coup d’État du 18 août 2020 revienne dans le jeu. Il faut rappeler qu’il était à la tête du M5-RFP (Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques) qui avait obtenu la fin du gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keïta. Dr Choguel Maïga a toujours considéré que l’intervention des forces militaires et les suites qui lui ont été données par l’installation du CNSP (Comité national pour le salut du peuple) puis de la Transition politico-militaire avait consisté à voler la victoire à ce M5-RFP qui, durant des mois avait mobilisé la population malienne pour obtenir un changement de régime. Donc, je pense que d’une certaine façon, il s’agit pour la junte de réconcilier les différents acteurs qui ont participé à la chute du président IBK en essayant de mettre de son côté les plus virulents à son encontre. 

 

Il a été noté dans ce nouvel attelage, le retour du Colonel Sadio Camara au ministère de la Défense. Cela donne-t-il raison à ceux qui affirmaient que son éviction et celle du Colonel Modibo Koné du gouvernement Ouane 2 étaient la cause de la crise qui a secoué la transition le temps d’une semaine ?

 

Il est particulièrement notable que le ministre Sadio Camara ait réussi à conserver son poste, démontre l’importance et l’étendue du pouvoir qu’ont réussi à acquérir les membres du CNSP dont l’autorité ne peut pas être remise en question par ceux qui ont accepté de collaborer avec eux. Cela dit, on constate que le Colonel Modiko Koné, ne figure de nouveau à la tête du ministère de la Sécurité (confié au Colonel Major Daoud Aly Mohammedine). Mais il semble promis à des fonctions non ministérielles, et non moins importantes. 

 

La défenestration de Bah N’daw et de son Premier ministre ainsi que leur arrestation ont fait réagir de façon virulente la communauté internationale. Dans la foulée, la France a décidé de suspendre ses opérations militaires conjointes avec l’armée malienne. Une semaine plus tard, la réorganisation de l’intervention française au Sahel a été annoncée par Emmanuel Macron. Que vous inspire cette série de décisions de la France ? 

 

Il y a beaucoup à dire de ces décisions successives du président de la République qui sont en réalité allées crescendo, partant de la suspension du partenariat militaire opérationnel (PMO) à l’issue duquel non seulement les opérations conjointes menées par la force Barkhane mais aussi la Force Takuba avec les Fama (Forces armées maliennes) ont été suspendues. Mais également, les programmes de formation et d’entraînement mis en place par la France au profit des forces armées maliennes. L’annonce qui a suivi la fin de l’intervention Barkhane et de la réorganisation du dispositif s’inscrit dans le droit fil de cette suspension du partenariat militaire opérationnel ; mais plus largement, dans le contexte de désaccord diplomatique extrêmement profond qui oppose la France au Mali depuis le sommet de Pau (en janvier 2020). 

 

C’est à ce moment qu’il a été décidé que les opérations militaires anti-terroristes se concentreraient principalement sur l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) tandis que le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) n’était pas concerné par ce sursaut militaire du sommet de Pau. Mais il me semble que le président IBK avait, dès cette époque, décidé d’engager des pourparlers avec les chefs du GSIM, Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa, en s’inscrivant dans le droit fil des recommandations formulées par le Dialogue national inclusif qui avait appelé à négocier avec tous les fils du pays. 

 

Cette position de IBK a été reprise à son compte par les acteurs de la transition civilo-militaire et on se souviendra de cet épisode assez tendu, lors de la conférence de presse au cours de laquelle le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian d’une part et l’alors Premier ministre Moctar Ouane d’autre part se sont affrontés. Le ministre français affirmant de manière extrêmement claire le refus de la France de voir engager tout dialogue avec des groupes djihadistes alors que le Premier ministre Moctar Ouane répondait que du côté des autorités maliennes, il y avait la détermination à poursuivre des pourparlers en application des recommandations du DNI mais aussi de la Conférence nationale d’entente de 2017. Il semble que cette orientation est toujours une option considérée par les autorités maliennes. 

 

Et l’une des craintes de la France est de voir ces négociations se poursuivre. Emmanuel Macron a fait acte d’autorité afin de demander une clarification aux autorités maliennes en considérant qu’il n’était pas possible de mener des négociations et d’une autre part de bénéficier à la fois de la coopération militaire française mais également du soutien opérationnel massif alors qu’elle n’est absolument pas favorable à la conduite de négociations et de dialogue avec les djihadistes. Le président Macron a choisi de mettre les dirigeants maliens face à un choix en les engageant à assumer leurs responsabilités et à formuler l’option privilégiée à leurs yeux. 

 

Justement, à l’occasion de sa conférence de presse de la veille du sommet du G7, Emmanuel Macron a déclaré qu’il n'engagera pas ses troupes aux côtés d’armées qui négocient avec des jihadistes. Comprenez-vous cette hostilité de la France à toute négociation avec les djihadistes ? 

 

Il y a une cohérence qu’on a longtemps cherchée dans la position de la France qui, après avoir trop longtemps considéré la gestion de cette crise à travers l’angle opérationnel de la lutte anti-terroriste, s’inscrit désormais dans une approche politique qui reconnaît la possibilité de l’engagement des négociations avec des groupes terroristes. Mais n’accepte pas pour ce qui la concerne de s’inscrire dans cette dynamique. Je pense que cela contribue à clarifier l’engagement français et cela correspond à la lecture qui est faite côté hexagonal de la situation au Sahel. Elle est en décalage avec ce qui se produit sur le terrain parce qu’elle répond en grande partie à des préoccupations de sécurité intérieure. Selon cette lecture, les djihadistes sahéliens sont vus comme étant exactement de même nature que les terroristes qui ont perpétré des attentats à Paris (au Bataclan, aux Terrasses ou contre Charlie Hebdo) même s’il me paraît à titre personnel, faux de considérer que les groupes djihadistes sahéliens dans leur ensemble, menacent la France. 

 

Ne serait-ce que parce que le GSIM a proclamé le fait qu’il luttait contre la présence française au Mali et n’avait pas l’intention d’exporter sa lutte sur le territoire européen. D’autre part, parce que le seul lien que l’on a pu observer en France avec l’État islamique au Grand Sahara a été l’attentat au bélier avorté à Colombe en juin 2020. Donc, il y a très peu d’éléments pour établir ce lien entre terrorisme menaçant le territoire français et la crise au Sahel. Néanmoins, c’est la lecture qu’ont choisi d’en faire et de présenter à l’opinion publique les autorités françaises. 

 

N’avez vous pas l’impression que la France a condamné au Mali ce qu’il a béni au Tchad ? 

 

Oui bien entendu ! On s’aperçoit justement à travers ces deux situations de toute la difficulté qui est celle de la France, mais plus largement des acteurs internationaux à mettre en accord deux postures en matière de politique étrangère. La première étant une position de type Realpolitik qui place avant tout la défense des intérêts et d’autre part une position qui consiste à promouvoir une approche libérale des relations internationales fondées sur la promotion de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’Homme. Le cas tchadien, à plusieurs égards a forcé la France à faire un choix et elle a choisi la Realpolitik et de la stabilité en adoubant immédiatement, après sa proclamation, le Conseil militaire de Transition (CMT) qui plus est, dirigé par le fils (Mahamat Idriss Deby) du défunt président Idriss Déby.

 

Il ne faut pas s’étonner, que quelques semaines plus tard, ce soit produit un coup de force au Mali. Mais ce qu’il est important de dire, c’est qu'au-delà de la position de la France, ce qui est encore plus problématique à mes yeux, c’est la position adoptée par les institutions multilatérales africaines, à commencer par l’Union africaine. Qui est garante des traités et déclarations qui font de la promotion et de la défense de la Démocratie, de l’État de droit et du respect de l’ordre constitutionnel, les colonnes vertébrales de l’architecture africaine de paix et de sécurité (APSA), mais plus largement de l’identité de l’institution elle-même. Il est extrêmement préoccupant de voir que ces principes ont été reniés et que pour la première fois de l’histoire de l’Union africaine, un coup d’État institutionnel n’a pas fait l’objet de sanctions majeures de la part de l’Union africaine. 

 

Dans le cas du Mali, cette position très en retrait de l’Union africaine, s’est reproduite à l’issue de ce qui s’est passé le 24 mai. Qui plus est de manière très inquiétante à mon sens, était encouragé, confirmé par la position pour le moins extrêmement faible adoptée par la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Qui n'a pas adopté de sanctions, ce qu’on peut comprendre parce que les sanctions économiques adoptées après le coup d’État d’août 2020 avaient été extrêmement douloureuses pour la population malienne. Mais l'institution sous-régionale n’a pas cherché à en adopter d’autres de type individuel contre les responsables du coup de force. La seule déclaration forte adoptée à propos du Tchad a été celle du parlement européen et il faut le souligner. 

 

Sans faire de vous un devin, comment voyez-vous la situation sécuritaire du Sahel dans dix ans ?

 

Je me définis comme une analyste et pas comme une prospectiviste. Il est certain que la gouvernance locale aura été profondément modifiée puisque la dynamique de fond qu’on constate depuis 2012, c’est l’émergence d’espaces de gouvernance qui échappent à l’autorité des États centraux. Que ces espaces soient gérés par des groupes djihadistes ou par des groupes rebelles de nature politico-militaire, voire par des acteurs criminels ou des groupes d’auto-défense qui ont tendance à s’insérer au sein des communautés afin de faire régner l’ordre, la justice. Et pour définir les modes de gestion, d’allocation des ressources, voire prélever l’impôt... Je pense que ces dynamiques de fond pèseront fondamentalement sur le visage du Sahel dans dix ans. 




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