Que c’est bien triste de réaliser qu’on n’avance pas ! Et que, plutôt, on recule. C’est en tout cas le sentiment qu’ont dû éprouver les démocrates qui pensaient avoir tourné la page des marches réprimées avec la chute de Wade et l’avènement de Macky Sall en mars 2012. Que nenni !
Sans virer au drame comme il y a quatre ans, la violence policière qui a ponctué la marche de la coalition « Manko Wattu Senegaal », ce 14 octobre 2016, rappelle à bien des égards celle du 31 janvier 2012.
Ce jour-là, la mythique Place de l’Obélisque accueillait un rassemblement contre une troisième candidature de Wade. Vers 20h 30, alors que la manifestation tirait à sa fin, les policiers foncent sur la foule massée sur le terre-plein de la Place de l’Obélisque. Ils dégainent et tirent sans discernement pendant que leur camion, le bien nommé « Dragon » déboule et se rue sur les manifestants. L’infortuné Mamadou Diop, l’ayant vu trop tard, n’a pas eu le temps de l’esquiver. Broyé par ses gros pneus, le jeune étudiant est vite évacué à Suma Assistance sur l’avenue Cheikh Anta Diop où il succombe à ses blessures et rend l’âme des suites d’une hémorragie interne. Le camion fou qui l’a tué a failli, soit dit en passant, faucher le Secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng, Aujourd’hui allié du Président Macky Sall et même pressenti pour occuper le perchoir du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT), il était alors à quelques mètres de l’endroit de ce tragique accident.
Hélas, si le pauvre Mamadou Diop avait ressuscité, il se croirait encore en 2011 avec un régime tout aussi prompt que celui qu’il a remplacé à casser de l’opposant et à ne tolérer aucune manifestation hostile, fut-elle pacifique. Mort en martyr à juste 32 ans, feu Mamadou Diop se réveillerait avec le sentiment d’avoir payé de sa vie pour rien. Tout comme les 12 autres victimes de la série de violences qui ont assombri la fin de règne de Wade entre fin 2011 et début 2012.
Ironie du sort, c’est un arrêté du très controversé ministre de l’Intérieur de l’époque, Me Ousmane Ngom, qu’a brandi l’actuel Préfet de Dakar pour empêcher à la coalition « Manko Wattu Senegaal » d’emprunter l’itinéraire qu’elle s’était choisi. Ce même arrêté que les tenants de l’actuel régime avaient pourtant systématiquement violé à l’époque où ils étaient encore à l’opposition, au motif qu’il était illégal. Quoi de plus ridicule donc que de l’invoquer aujourd’hui pour empêcher à l’actuelle opposition de jouir librement de son droit de marche. Même si on peut déplorer son intransigeance à maintenir son itinéraire initial malgré les quelques concessions arrachées au pouvoir, il y a au moins six raisons qui auraient dû dissuader les autorités à entraver la marche de ce 14 octobre.
La première est que le droit de marche obéit à un régime de déclaration et non d’autorisation comme les tenants du régime ont tendance à le faire croire. La deuxième raison tient à la morale. Les pouvoirs publics devaient avoir en effet quelque scrupule à brandir cet arrêté de sinistre mémoire, vu la série de violences et les nombreuses victimes qu’il avait charriées entre 2011 et 2012. La troisième raison est que l’actuel chef de l’Etat et ses alliés l’avaient toujours bravé, et à juste titre, en faisant régulièrement le siège de la Place de l’Indépendance. La quatrième raison est qu’un arrêté ne peut absolument pas primer sur une disposition constitutionnelle comme le droit de manifester, consacré par la charte fondamentale en son article 10. La cinquième raison est qu’en démocratie, les pouvoirs publics doivent s’employer à ériger des zones sécurisées à chaque fois que de besoin et non à délimiter des zones de sécurité juste pour empêcher à d’éventuels manifestants de se déployer librement sur l’étendue du territoire. La sixième raison tient enfin du bon sens. Car il est manifestement plus aisé de déployer des forces de l’ordre pour encadrer une marche plutôt que pour la réprimer.
Autant dire que ce qui s’est passé donc ce 14 octobre est symptomatique de la démocrature qui prévaut sous nos cieux, pour reprendre la savante et savoureuse formule de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano. Un néologisme que nous lui devons grâce à la contraction de démocratie et de dictature et qui a même inspiré à Max Liniger-Goumaz son fameux ouvrage paru en 1992 : « La démocrature, dictature camouflée, démocratie truquée ».
C’est cette démocratie en trompe-l’œil qui prévaut malheureusement sous nos tropiques. Et le plus inquiétant est qu’elle n’est pas l’apanage de Macky Sall et de son régime. Comment croire à l’attachement de nos hommes politiques à la démocratie s’ils ne peuvent même pas la garantir à l’intérieur de leurs partis respectifs ? Et puis, certains parmi ceux qui se battent aujourd’hui pour défendre ce principe aussi élémentaire que le droit de marche en démocratie, pourraient bien le remettre en cause une fois au pouvoir. De la même manière qu’ils avaient encouragé sa violation systématique sous le règne de Wade. Ce qui dénote l’absence de vertu au sein de notre classe politique, que l’on soit du pouvoir ou de l’opposition.
Ce qui s’est passé ce 14 octobre interpelle donc tout le personnel politique. Il lui faut en effet la lucidité et la franchise de reconnaître que nous faisons du surplace au moment où d’autres pays, pourtant longtemps à la traîne par rapport au Sénégal, enregistrent des avancées démocratiques considérables.
Au Mali voisin, 13 partis politiques membres de l’opposition ont mobilisé près de 100.000 personnes le 1er octobre dernier à Bamako pour une marche dite « républicaine et démocratique ». Une manifestation destinée à exiger la tenue de concertations nationales, le retour de l’ancien Président Amadou Toumani Touré et à protester contre la nouvelle loi électorale et la censure de la télévision d’Etat. A l’arrivée, zéro grabuge !
En Côte d'Ivoire, la place des Martyrs à Adjamé a été bouclée par les forces de l’ordre le 8 octobre dernier, non pas pour empêcher son accès, mais pour permettre aux partis politiques membres de l'Alliance des forces démocratiques (AFD), emmenée par Pascal Affi NGuessan, d’organiser une marche de protestation contre la réforme de la Constitution proposée par Alassane Ouattara.
En Guinée, le pouvoir et l’opposition, après 11 journées d’intenses discussions, sont parvenus à un consensus sur la totalité des quatre points inscrits à leur ordre du jour. D’où la signature d’un accord politique le 12 octobre dernier, ponctuant ainsi un dialogue national moins folklorique et plus franc que celui initié au Sénégal le 29 mai dernier.
C’est à ces exemples-là qu’on mesure la gravité de la marche réprimée le 14 octobre dernier. Mais ce n’est pas tout. Alors qu’on se prévaut d’être une grande démocratie et « un pays de dialogue », une élection présidentielle n’a encore jamais donné lieu à un débat entre candidats. Ce qu’ont pourtant réussi Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara après dix années de guerre civile. Ce qu’a aussi réussi l’Ouganda où le premier débat présidentiel de son histoire avait réuni, en janvier 2016, 7 des 8 candidats à la présidence. Seul le président Yoweri Museveni n’avait pas daigné se prêter à cet exercice. Auparavant, Madagascar s’était aussi payé le luxe d’un débat présidentiel en octobre 2013. Alors que le Sénégal attend toujours son premier face-à-face entre candidats à une élection présidentielle. Tout comme il attend toujours la réforme du fameux article 80 jugée liberticide et celle du Conseil supérieur de la magistrature qui n’a connu récemment qu’une réformette. La présidence étant plus que jamais assurée par le chef de l’Etat qui décide allègrement du sort des juges.
Décidément, on a encore beaucoup de chemin à faire pour rompre avec la démocrature. Et il est temps d’en prendre conscience.
Momar Diongue
Sans virer au drame comme il y a quatre ans, la violence policière qui a ponctué la marche de la coalition « Manko Wattu Senegaal », ce 14 octobre 2016, rappelle à bien des égards celle du 31 janvier 2012.
Ce jour-là, la mythique Place de l’Obélisque accueillait un rassemblement contre une troisième candidature de Wade. Vers 20h 30, alors que la manifestation tirait à sa fin, les policiers foncent sur la foule massée sur le terre-plein de la Place de l’Obélisque. Ils dégainent et tirent sans discernement pendant que leur camion, le bien nommé « Dragon » déboule et se rue sur les manifestants. L’infortuné Mamadou Diop, l’ayant vu trop tard, n’a pas eu le temps de l’esquiver. Broyé par ses gros pneus, le jeune étudiant est vite évacué à Suma Assistance sur l’avenue Cheikh Anta Diop où il succombe à ses blessures et rend l’âme des suites d’une hémorragie interne. Le camion fou qui l’a tué a failli, soit dit en passant, faucher le Secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng, Aujourd’hui allié du Président Macky Sall et même pressenti pour occuper le perchoir du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT), il était alors à quelques mètres de l’endroit de ce tragique accident.
Hélas, si le pauvre Mamadou Diop avait ressuscité, il se croirait encore en 2011 avec un régime tout aussi prompt que celui qu’il a remplacé à casser de l’opposant et à ne tolérer aucune manifestation hostile, fut-elle pacifique. Mort en martyr à juste 32 ans, feu Mamadou Diop se réveillerait avec le sentiment d’avoir payé de sa vie pour rien. Tout comme les 12 autres victimes de la série de violences qui ont assombri la fin de règne de Wade entre fin 2011 et début 2012.
Ironie du sort, c’est un arrêté du très controversé ministre de l’Intérieur de l’époque, Me Ousmane Ngom, qu’a brandi l’actuel Préfet de Dakar pour empêcher à la coalition « Manko Wattu Senegaal » d’emprunter l’itinéraire qu’elle s’était choisi. Ce même arrêté que les tenants de l’actuel régime avaient pourtant systématiquement violé à l’époque où ils étaient encore à l’opposition, au motif qu’il était illégal. Quoi de plus ridicule donc que de l’invoquer aujourd’hui pour empêcher à l’actuelle opposition de jouir librement de son droit de marche. Même si on peut déplorer son intransigeance à maintenir son itinéraire initial malgré les quelques concessions arrachées au pouvoir, il y a au moins six raisons qui auraient dû dissuader les autorités à entraver la marche de ce 14 octobre.
La première est que le droit de marche obéit à un régime de déclaration et non d’autorisation comme les tenants du régime ont tendance à le faire croire. La deuxième raison tient à la morale. Les pouvoirs publics devaient avoir en effet quelque scrupule à brandir cet arrêté de sinistre mémoire, vu la série de violences et les nombreuses victimes qu’il avait charriées entre 2011 et 2012. La troisième raison est que l’actuel chef de l’Etat et ses alliés l’avaient toujours bravé, et à juste titre, en faisant régulièrement le siège de la Place de l’Indépendance. La quatrième raison est qu’un arrêté ne peut absolument pas primer sur une disposition constitutionnelle comme le droit de manifester, consacré par la charte fondamentale en son article 10. La cinquième raison est qu’en démocratie, les pouvoirs publics doivent s’employer à ériger des zones sécurisées à chaque fois que de besoin et non à délimiter des zones de sécurité juste pour empêcher à d’éventuels manifestants de se déployer librement sur l’étendue du territoire. La sixième raison tient enfin du bon sens. Car il est manifestement plus aisé de déployer des forces de l’ordre pour encadrer une marche plutôt que pour la réprimer.
Autant dire que ce qui s’est passé donc ce 14 octobre est symptomatique de la démocrature qui prévaut sous nos cieux, pour reprendre la savante et savoureuse formule de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano. Un néologisme que nous lui devons grâce à la contraction de démocratie et de dictature et qui a même inspiré à Max Liniger-Goumaz son fameux ouvrage paru en 1992 : « La démocrature, dictature camouflée, démocratie truquée ».
C’est cette démocratie en trompe-l’œil qui prévaut malheureusement sous nos tropiques. Et le plus inquiétant est qu’elle n’est pas l’apanage de Macky Sall et de son régime. Comment croire à l’attachement de nos hommes politiques à la démocratie s’ils ne peuvent même pas la garantir à l’intérieur de leurs partis respectifs ? Et puis, certains parmi ceux qui se battent aujourd’hui pour défendre ce principe aussi élémentaire que le droit de marche en démocratie, pourraient bien le remettre en cause une fois au pouvoir. De la même manière qu’ils avaient encouragé sa violation systématique sous le règne de Wade. Ce qui dénote l’absence de vertu au sein de notre classe politique, que l’on soit du pouvoir ou de l’opposition.
Ce qui s’est passé ce 14 octobre interpelle donc tout le personnel politique. Il lui faut en effet la lucidité et la franchise de reconnaître que nous faisons du surplace au moment où d’autres pays, pourtant longtemps à la traîne par rapport au Sénégal, enregistrent des avancées démocratiques considérables.
Au Mali voisin, 13 partis politiques membres de l’opposition ont mobilisé près de 100.000 personnes le 1er octobre dernier à Bamako pour une marche dite « républicaine et démocratique ». Une manifestation destinée à exiger la tenue de concertations nationales, le retour de l’ancien Président Amadou Toumani Touré et à protester contre la nouvelle loi électorale et la censure de la télévision d’Etat. A l’arrivée, zéro grabuge !
En Côte d'Ivoire, la place des Martyrs à Adjamé a été bouclée par les forces de l’ordre le 8 octobre dernier, non pas pour empêcher son accès, mais pour permettre aux partis politiques membres de l'Alliance des forces démocratiques (AFD), emmenée par Pascal Affi NGuessan, d’organiser une marche de protestation contre la réforme de la Constitution proposée par Alassane Ouattara.
En Guinée, le pouvoir et l’opposition, après 11 journées d’intenses discussions, sont parvenus à un consensus sur la totalité des quatre points inscrits à leur ordre du jour. D’où la signature d’un accord politique le 12 octobre dernier, ponctuant ainsi un dialogue national moins folklorique et plus franc que celui initié au Sénégal le 29 mai dernier.
C’est à ces exemples-là qu’on mesure la gravité de la marche réprimée le 14 octobre dernier. Mais ce n’est pas tout. Alors qu’on se prévaut d’être une grande démocratie et « un pays de dialogue », une élection présidentielle n’a encore jamais donné lieu à un débat entre candidats. Ce qu’ont pourtant réussi Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara après dix années de guerre civile. Ce qu’a aussi réussi l’Ouganda où le premier débat présidentiel de son histoire avait réuni, en janvier 2016, 7 des 8 candidats à la présidence. Seul le président Yoweri Museveni n’avait pas daigné se prêter à cet exercice. Auparavant, Madagascar s’était aussi payé le luxe d’un débat présidentiel en octobre 2013. Alors que le Sénégal attend toujours son premier face-à-face entre candidats à une élection présidentielle. Tout comme il attend toujours la réforme du fameux article 80 jugée liberticide et celle du Conseil supérieur de la magistrature qui n’a connu récemment qu’une réformette. La présidence étant plus que jamais assurée par le chef de l’Etat qui décide allègrement du sort des juges.
Décidément, on a encore beaucoup de chemin à faire pour rompre avec la démocrature. Et il est temps d’en prendre conscience.
Momar Diongue