Le journaliste Soulaimane Raissouni condamné à cinq ans de prison par la justice marocaine

Rédigé par Dakarposte le Samedi 10 Juillet 2021 à 10:10 modifié le Samedi 10 Juillet 2021 10:12

Ses soutiens dénoncent un «procès politique». La justice marocaine a condamné vendredi le journaliste Soulaimane Raissouni à cinq ans de prison pour «agression sexuelle». Le rédacteur en chef du quotidien arabophone indépendant Akhbar Al Yaoum, célèbre pour ses éditoriaux cinglants envers le pouvoir, n’était pas présent, affaibli par la grève de la faim entamée il y a 93 jours.

Depuis mai 2020, Soulaimane Raissouni, 49 ans, est en détention provisoire à la suite d’une plainte d’un militant LGBT pour «agression sexuelle», des faits qu’il conteste. Le plaignant, lui, se défend d’être «instrumentalisé politiquement».

Au Maroc comme à l’étranger, le cas du journaliste mobilise : des défenseurs des droits humains, des intellectuels, des responsables politiques avaient réclamé sa libération provisoire, en vain. Face aux critiques, les autorités marocaines, elles, ont toujours mis en avant l’indépendance de la justice et la conformité des procédures.

«Boucherie judiciaire»
Vendredi, le juge a ordonné de faire venir le journaliste, absent de son procès depuis la mi-juin, afin qu’il entende sa condamnation, mais le prévenu a «refusé», selon un procès-verbal lu au cours de l’audience à la cour d’appel de Casablanca. A peine la sanction prononcée, quelques voix de protestation, parmi les soutiens du journaliste, ont rompu le silence pesant dans la salle et avant même la levée de l’audience, ses proches et avocats, dépités, l’ont quittée.

«C’est une boucherie judiciaire, comment peut-on condamner un accusé en son absence ? C’est du jamais vu ! Le verdict est à l’image de ce procès», a déclaré à l’AFP Me Miloud Kandil, un des avocats du journaliste à la sortie de la salle d’audience.

La défense ne plaidait plus depuis mardi, afin de protester contre le refus du juge d’hospitaliser puis de faire venir le prévenu, qui n’a pas été auditionné par la cour. Le journaliste s’est dit prêt à assister à son procès, à condition «d’être transporté en ambulance et d’avoir un fauteuil roulant». Son absence a été considérée comme un «refus» par la cour qui a décidé de poursuivre sans lui. «Je suis prêt, impatient même, d’être jugé, mais en état de liberté», disait le journaliste dans une lettre dictée à ses avocats en juin.

Santé «critique»
Durant l’ultime audience, le parquet a requis la peine maximale, estimant que les déclarations du journaliste étaient «contradictoires» tandis que celles du plaignant étaient «concordantes et cohérentes». Le plaignant, lui, a réaffirmé durant son audition jeudi devant le juge «sa version des faits telle que racontée à la police et au juge d’instruction», niant que cette affaire soit «instrumentalisée politiquement», a indiqué à l’AFP son avocat Me Omar Alouane.

La santé «critique» de l’éditorialiste inquiète ses soutiens et ses proches, surtout depuis que Soulaimane Raissouni n’a pas renoncé à sa grève de la faim, entamée depuis le 8 avril contre une «grande injustice ressentie». L’administration pénitentiaire (DGAPR) avait affirmé mardi que le journaliste usait de sa «prétendue grève de la faim» pour «pousser le tribunal compétent à le remettre en liberté». La dernière fois qu’il est apparu à la cour, le 10 juin, il marchait en titubant, son corps amaigri et la peau sur les os. La peine de Soulaimane Raissouni a été assortie d’un dédommagement au plaignant de 100 000 dirhams (environ 9.500 euros).

Ce procès s’est ouvert en février, alors que le journaliste avait été placé en détention préventive en mai 2020. Il a été arrêté suite à la publication par le plaignant d’un post sur Facebook accusant le journaliste de l’avoir «agressé sexuellement».

«Ciblage des journalistes»
Après son arrestation, une pétition de soutien signée par une centaine de défenseurs des droits humains, des politiques et intellectuels avait dénoncé le «ciblage des journalistes et des défenseurs des droits humains critiques à l’égard des autorités, avec les mêmes méthodes basées sur des accusations sexuelles». Plus récemment, des partis politiques avaient appelé à la libération de journalistes et à «créer un climat général positif basé sur un apaisement politique et la protection des droits humains».

«Les allégations de violences sexuelles doivent toujours être prises au sérieux et faire l’objet d’une enquête exhaustive. Cependant, ces dernières années plusieurs accusations d’infractions sexuelles ont été portées contre des détracteurs du gouvernement marocain, notamment des journalistes indépendants et des militant·e·s.», avait rappelé Amnesty International. Les accusations à caractère sexuel visant des activistes ou des journalistes dissidents, suivies d’une détention prolongée puis d’un procès bâclé sont fréquentes.

Hajar Raissouni, également reporter au Akhbar el Yaoum et nièce de Souleiman Raissouni, a été condamnée en 2019 à un an de prison pour «avortement illégal» et «relations sexuelles hors mariage», avant d’être graciée par le roi devant le tollé international soulevé par l’affaire. Le fondateur du quotidien arabophone Taoufik Bouachrine avait lui été condamné à 12 ans de prison en 2018, une peine alourdie à 15 ans en appel, pour des violences sexuelles qu’il a toujours niées.
Mamadou Ndiaye
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