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Wade: "Je suis un disciple de Blaise Diagne "

Rédigé par Dakarposte le Mardi 5 Décembre 2017 à 07:52


Né à Gorée en 1872, le jeune Galaye Diagne dit Mbaye Diagne, d’un père lébou, ethnie ouolof
de la Presqu’île du Cap-Vert et de mère d’ethnie diola Manjaque, fut adopté par la famille de
magistrats métis CRESPIN natifs de Gorée et Saint- louis, donc de nationalité française.
Sa nouvelle famille changea son prénom en Blaise. Blaise Diagne fut, comme on dit en anglais,
mon ‘’Hero’’. Je n’ai pas choisi son nom par hasard pour le donner à l’Aéroport Sénégalais
moderne que j’ai créé et à qui j’avais assigné la vocation de devenir, le temps de l’évolution
technologique, le plus grand Aéroport International d’Afrique.
En effet, Blaise Diagne, premier député du Sénégal élu à l’Assemblée nationale française en
1914, n’est malheureusement pas assez connu des Sénégalais, particulièrement les jeunes.
Pendant la période d’après-guerre 39-45, période marquée par la FEANF (Fédération des
Etudiants Africains en France d’option anticolonialiste et revendicative) et la WASU (West
African Student Union à Londres d’option nationaliste comme les leaders africains des colonies
britanniques d’Afrique qui, lorsque je débarquai à Londres pour la première fois en 1959,
avaient l’habitude de se réunir au 200 Gover Street)
1
.

L’abolition formelle, le 28 avril 1848, de l’esclavage dans lequel l’Île de Gorée a joué le rôle
historique de ‘’porte vers l’inconnu’’, port de tri et d’exportation des esclaves africains vers les
Amériques pendant 4 siècles et demi, était très proche, ses séquelles trop vivaces, dans un
univers où les africains étaient, à la différence des citoyens français, des sujets français
taillables et corvéables à merci, pour que son idée d’assimilation qui ferait gommer la
différence de traitement ne heurtât les uns ou n’inspirât la peur chez les autres.
Sa loi faisant des natifs des quatre communes, Saint-Louis, Dakar, Rufisque et Gorée, des
citoyens français fut qualifiée de ‘’Révolution Diagne’’.
A l’ère de la FEANF, après les indépendances de 1960, ses idées novatrices ont été mal
acceptées par une intelligentsia de gauche en mal d’une révolution2

. Blaise Diagne croyait à
l’égalité des races dont, pour lui, aucune n’est supérieure à l’autre, différenciées seulement par

1 C’est là que j’ai rencontré pour la première fois Julius Nyerere, jeune leader de Tanzanie, Namdi Azikwé,
leader du Nigeria, Joshua Nkomo leader de la Rhodésie du Sud devenue le Zimbabwe, Kanyama Chiume leader
de la Rhodésie du Nord devenue le Malawi. Le Dr Kamusu Banda fut le premier ‘’Premier Ministre ‘’
qualification du Chef de l’Exécutif héritée de l’Angleterre dont l’échelon supérieur est la Reine qui nomme les
Premiers ministres du Commonwealth dont le Canada par exemple. Cette sujétion a été abolie récemment. A
l’indépendance le Docteur Kamusu Banda devint Président du Malawi.
2 Les étudiants de la FEANF rêvaient de la révolution bolchevique de 1917.

2
leur degré d’avancement sur l’échelle de la civilisation ‘’occidentale‘’ qui lui paraissait être le
modèle.
Pour ce député foncièrement antiraciste, il fallait simplement former les Noirs pour qu’ils
atteignent les Blancs. Et il n’y a pas meilleur moyen de les former que de leur ouvrir les écoles ;
d’adopter leurs mœurs et coutumes dans la mesure où cela ne heurtait ni nos religions ni nos
traditions. Il prêcha ce que l’on a appelé la doctrine de l’assimilation.
Cette doctrine héritée des Romains qui, après avoir vaincu un peuple ‘’barbare’’- car, pour eux,
tout ce qui n’était pas romain était barbare - a été reprise 2000 ans après par la France, avec
l’Union française en 1945 qui devait donner la même nationalité aux peuples de l’Empire

français, des Sénégalais aux Vietnamiens et Malgaches, puis avec la Communauté franco-
africaine d’octobre 1968 qui se réduisait à la France et l’Afrique Noire, toutes deux tentatives

qui ont échoué.
A la décharge du député assimilationniste sénégalais, il était strictement seul à faire face à une
grande et noble cause : défendre la race noire alors que les séquelles du racisme étaient encore
vivantes dans notre pays et, plus encore, dans le reste de l’Afrique.
A cette époque et jusque dans l’entre-deux guerres, lorsqu’un Noir rencontrait un Blanc, il
devait descendre du trottoir et le laisser à ceux qui se présentaient comme la race des seigneurs.
Lorsqu’un Noir entrait dans un magasin et y trouvait un Blanc, il était obligé de sortir et
d’attendre que le Blanc eût fini ses emplettes. Dans certaines colonies il devait faire chapeau
bas lorsqu’il croisait un blanc dans la rue.
Les Sénégalais, n’hésitant pas à en venir aux mains avec les petits Blancs racistes qui avaient
trouvé un exutoire et tentaient de satisfaire des impulsions de domination, réussirent, au début
de la guerre 39-45, à éliminer les manifestations racistes publiques.
Avec la seconde guerre mondiale et le Gouvernement français de Vichy, il y eut une nouvelle
offensive de racistes venus d’on ne sait où. Nous formions alors des commandos pour aller
chercher bagarre. Etant le plus petit de la bande, à 16 ans, j’étais le poisson-pilote qui allait
provoquer, surtout les marins français qui déambulaient en bandes bruyantes dans les rues de
notre capitale.3
On se souvient de ce qui arriva à l’un des premiers juristes franco-sénégalais, Isaac Forster, de
mère sénégalaise et de père métis, devenu, par la suite, premier Noir membre de la Cour
internationale de la Haye. Il fut très affecté par ce qui arriva à sa mère -noire- qui, à une époque
où Noirs et Blancs devaient former deux files distinctes devant les magasins et les guichets,
était allée faire des achats dans un magasin de l’Avenue William Ponty. Elle fut brutalement
extraite du rang des Blancs. Etant certainement inconsciente de l’apartheid qui s’était installé,
elle était entrée dans la file qui avait moins de monde. Elle en fut chassée par un Blanc en ces
termes : « Que vient faire ici cette Négresse ? ». Elle sortit du magasin en pleurs, traversa la
Place Protêt et s’en alla au Tribunal, actuel Ministère des Affaires étrangères, expliquer son
aventure à son fils qui était Procureur de la République. M. Isaac Forster prit sa maman par le
bras et revint au magasin, pour dire au directeur blanc qui avait malmené sa mère : « Monsieur,
je suis Isaac Forster, Procureur de la République. Je vous apprends que cette Négresse que vous
avez chassée est ma mère ! ». Le colonialiste se confondit en excuses et servit avec zèle la mère
de Forster.


3
Ces rapports disparurent assez rapidement au Sénégal et il n’en restait presque plus de trace en
1945.
Après 1945, c’est ma génération qui entreprit de livrer des combats dans les rues de Dakar
contre les Blancs racistes qui tentaient de revenir en force, mais ces rapports subsistaient dans
les autres colonies, notamment au Mali et en Côte d’Ivoire.
On se souvient des aventures de Majhmoud DIOP4

, pharmacien sénégalais venu au Mali après
l’indépendance pour s’y installer. Entrant dans un magasin, on lui demanda de sortir en
attendant que le Blanc qui était à l’intérieur eût terminé ses emplettes. Le Commandant de
cercle, blanc, informé de l’incident réagit aussitôt : si c’est un Sénégalais, laissez-le. Je ne veux
pas d’histoire. En effet, lorsqu’un Sénégalais s’était battu contre un Blanc, le député du Sénégal
au Palais Bourbon sitôt informé, interpellait le Ministre de la France d’Outre-Mer qui
demandait aussitôt que des sanctions fussent prises contre les délinquants blancs qui étaient à
l’origine des incidents.
Blaise Diagne, au moment où il menait ce combat, était pratiquement seul. Le Sénégal ne
comptait pas un seul bachelier.
On se souvient de ses interventions au Palais Bourbon, car il fut un grand orateur. Fier de sa
race, il n’hésitait jamais à manifester son appartenance.
On raconte qu’un jour, débarquant au Port de Dakar, car il n’y avait pas d’avion à l’époque, il
fut reçu par le Gouverneur Général Ernest ROUME, un homme corpulent qui trainait
difficilement sa grande masse de chair. A l’époque, le Gouvernement général siégeait à la
Polyclinique face à la Poste de Médina. Blaise Diagne refusa le carrosse que lui proposait le
Gouverneur pour monter à côté de lui et dit : « Je préfère marcher » et ils marchèrent côte à
côte suivi de la foule. On s’aperçut qu’il l’avait fait exprès. La route n’était pas goudronnée, la
foule était épaisse et la poussière se répandit partout. Il dit en Ouolof à ses compagnons : « Ga
yi, na poussiyère bi jög, poussiyère du rey negar ».5
Il est vrai qu’il fit campagne pour l’engagement des Sénégalais dans la guerre 14-18 : « Si vous
voulez avoir les mêmes droits, accomplissez les mêmes devoirs », avait-il l’habitude de dire.
En fait, la citoyenneté française fut accordée fin 19ème siècle aux citoyens de 4 communes de
plein exercice, Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Gorée. A ceux qui refusaient ou hésitaient à
s’engager dans l’enrôlement des Sénégalais pour la guerre 14-18, Blaise Diagne disait :
« Engagez-vous dans la guerre. Après, vous pourrez devenir gendarmes et fonctionnaires

4
Etudiants à Paris, Majhemout et moi créâmes l’Association des Etudiants nationalistes, en 1951, ouvertement
d’obédience Nkrumahiste mais elle fut éphémère du fait d’une réticence générale des étudiants dont les non
communistes craignaient des poursuites du pouvoir colonial en application de l’article 80 du Code pénal
réprimant des travaux forcés toute tentative de sécession, par faits ou propos.
En 1957, Cheikh Anta Diop, Majhemout, Amadou Aly Dieng et moi tînmes une réunion dans une chambre de la
Cité universitaire du Boulevard Jourdan à Paris en vue de la création d’un parti au Sénégal. Celui-ci prendrait le
nom de Parti Africain de l’Indépendance, PAI. Celui d’entre nous qui rentrerait le premier le créerait et les
autres, dès leur arrivée au Sénégal intègrerait ses rangs.
Majhemout rentré dans les mois qui suivirent tint une conférence de presse et annonça la création du PAI,
marxiste-léniniste. Il nous fit parvenir sa déclaration que je reçus quelques jours après à 08 heures du matin. A
11 heures je postai ma réponse qui se résume : ce n’est pas ce qui était convenu. Je rejette le marxisme
léninisme et reste Nkrumahiste. Je ne suis pas de ton parti.
5 Expression ouolof qui se traduit : Braves gens, que la poussière s’élève ! La poussière ne tue pas le nègre.

4
français ». Ce corps d’élite était en fait composé uniquement de Français. Depuis ce moment,
(1915) les natifs des Quatre Communes et leurs descendants furent tenus de l’obligation
militaire à vingt-et-un ans, comme les Français.
Ajoutons le combat de Blaise pour l’augmentation du prix de l’arachide, première production
du Sénégal, matière première envoyée obligatoirement à Marseille et à Bordeaux, en
application du Pacte Colonial6

, en vue de la fabrication de l’huile qui porte son nom.

Tel est le combat de Blaise Diagne qui, entre autres, a aidé le Dr Du Bois et le Dr. Kwame
Nkrumah pour organiser, à Paris, en 1919 le troisième Congrès Panafricain de Paris dont il fut
élu Président.7
Pour donc être juste, il faut reconnaître que Blaise Diagne fut un grand Africain, un grand
défenseur de la race noire mais, malheureusement, à son époque il était seul. Il est vrai qu’il y
a eu avant lui des députés noirs français des Iles mais leurs préoccupations majeures étaient
ailleurs. Il fut accusé par les Communistes de la Gauche de s’être inféodé aux Français, mais
cette accusation trop sévère n’était pas juste.
Mon père et beaucoup d’anciens combattants furent des Diagnistes contre Galandou Diouf8
.
Voilà les raisons pour lesquelles, voulant rendre hommage à ce héros, malheureusement
méconnu, j’ai donné au plus grand Aéroport moderne du Sénégal le nom de Blaise Diagne.
Comment pourrait-on comprendre qu’aujourd’hui, je débaptise cet Aéroport pour en prendre le
nom alors que Blaise reste mon modèle ?
J’estime que nous devons faire connaître aux jeunes nos grands hommes qui, après que les
colonialistes eurent tué ou exilé tous nos rois (Samory, El Hadj Omar Tall, Lat-Dior Diop,
Samba Laobé Fall, etc ...), ont poursuivi le combat à leur manière.
Pour toutes ces raisons, je souhaite que cet Aéroport ne soit jamais débaptisé car je ne vois pas
qui, plus que Blaise Diagne, mérite de porter son nom.

Maître Abdoulaye Wade



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