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Quelle portée pour la décision du tribunal de grande instance de Paris du 26 septembre 2016, Etat du Sénégal contre Karim Wade et Bibo Bourgi ? (Par Sadio Cissé, juriste fiscaliste et Coordonnateur du parti LDR/ YEESAL Paris).

Rédigé par Dakarposte le Mercredi 12 Octobre 2016 à 12:01

Quelle portée pour la décision du tribunal de grande instance de Paris du 26 septembre 2016, Etat du Sénégal contre Karim Wade et Bibo Bourgi ? (Par Sadio Cissé, juriste fiscaliste et Coordonnateur du parti LDR/ YEESAL Paris).
En vertu du principe de territorialité des décisions de justice, celles-ci n’ont d’effets juridiques que dans l’Etat dans lequel elles ont été rendues. L’autorité des décisions de justice d’un Etat est limitée dans le territoire sur lequel s’exerce la souveraineté politique de ce même Etat. Exceptés certains cas, il y a un principe général en droit international qui découle de la souveraineté des Etats, qui veut qu’une décision de justice étrangère ne puisse donner lieu à aucun acte d’exécution dans un autre Etat si elle n’a été déclarée exécutoire par un juge du lieu de l’Etat d’exécution à la suite d’une procédure de droit international appelée exequatur. L’exequatur est une procédure par laquelle, le bénéficiaire d’une décision de justice rendue exécutoire dans un Etat, saisit un juge d’un autre Etat pour que celui-ci y rende exécutoire cette décision étrangère. Si le juge du pays d’exécution estime que cette décision de justice étrangère est conforme à certains principes de son droit, il lui donne son sceau et de ce fait, cette décision de justice étrangère revêtira l’autorité de la chose jugée comme si elle avait été rendue par un juge de l’Etat d’exécution et y sera exécutoire de plein droit. Lorsqu’il est saisi sur une question de l’exequatur, le juge français dois d’abord vérifier s’il existe une convention internationale concernant des règles de procédure entre la France et l’Etat étranger de la décision. S’il n’y a pas de convention de coopération judiciaire, le juge français doit appliquer ses propres règles nationales. Entre la France et le Sénégal il y a la convention franco-sénégalaise du 29 mars 1974 notamment son titre ll « de l’exequatur des décisions en matière civile, sociale, commerciale et administrative » qui prévoit les modalités de reconnaissance et d’exécution des décisions de justice civile. C’est dans ce sens que l’Etat du Sénégal avait saisi le juge du Tribunal de grande instance de Paris, juge de l’exequatur pour faire appliquer en France la décision de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) de mars 2015 confirmée par la Cour suprême du Sénégal en août de la même année. Pour rappel, Karim Wade et Bibo Bourgi avaient été condamnés par la CREI à des peines privatives de liberté avant d’être graciés et à des peines pécuniaires dont une amande de 138 milliards de FCFA et la confiscation de tous leurs biens patrimoniaux. La grâce présidentielle qui leur a été accordée les élargit de prison mais n’a pas pour effet d’effacer les peines secondaires comme les peines pécuniaires par exemple. L’Etat du Sénégal avait saisi le juge Français pour une saisie des biens de Karim Wade et de Bibo Bourgi. En France, l’exécution des décisions rendues à l’étranger est régie par l’article 509 du Code civil qui dispose « Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la même manière et dans les cas prévus par la loi ». Mais c’est la jurisprudence qui est venue préciser les modalités d’application de cet article. A l’origine, suite à l’arrêt Parker de 1819, le tribunal français saisi d’une demande d’exequatur devait réexaminer l’affaire en fait et en droit. Il se substituait au juge étranger pour rejuger en quelques sortes l’affaire afin de s’assurer que s’il avait été saisi de l’affaire dés l’origine, il aurait statué de la même façon que le juge étranger. Le juge français procédait ainsi en une sorte de révision du procès déjà jugé à l’étranger. Cette façon de faire a été décriée par la doctrine nationale et internationale comme étant une atteinte grave à la souveraineté judiciaire des pays étrangers. C’est pour cette raison que la Cour de cassation française par l’arrêt Munzer du 7 janvier 1967 est intervenue un siècle et demi plus tard pour rompre avec cette pratique mais en posant cinq conditions à remplir pour que le juge français saisi puisse reconnaître l’exequatur. Le juge français devait s’assurer de la compétence du juge étranger ayant rendu la décision c'est-à-dire s’assurer que ce n’est pas un juge français qui est compétent en la matière, la régularité de la procédure suivie devant ce tribunal étranger, l’application de la loi de compétence d’après la règle de conflit français, la conformité de la décision à l’ordre public international français et l’absence de fraude à la loi. Mais le 4 octobre 1967 dans l’arrêt Bachir, la Cour de cassation ramena le nombre de conditions à quatre, supprimant ainsi la condition de vérification de la régularité de la procédure suivie par le juge étranger. Cette vérification de la régularité de la procédure avait été fortement critiquée comme étant une ingérence dans les affaires judicaires des pays étrangers. La question était très sensible pour les pays nouvellement indépendants de la domination coloniale française. Après de sévères critiques, et afin de tempérer la rigueur de la jurisprudence française qui voulait que le juge français examine si l’infraction condamnée par le juge étranger est punissable en France avant d’accorder l’exequatur la Cour de cassation par un arrêt Drichemont du 29 juillet 1929 a atténué cette rigueur par l’introduction d’un nouveau critère dite théorie de l’équivalence. Cette théorie permettait d’estimer la décision étrangère régulière si la loi appliquée par le juge étranger aboutissait au cas d’espèce au même résultat que celui auquel aurait conduit la loi désignée par le droit français. Le juge français devrait regarder dans la loi française s’il trouve une équivalence à la loi étrangère base de la décision du juge étranger. C’est cette jurisprudence qu’a appliquée le juge français dans l’affaire Etat du Sénégal contre Karim Wade et Bibo Bourgi. En effet, après avoir vérifié que la notion d’enrichissement illicite tel que prévu et puni en droit sénégalais n’existe pas en droit français, il a parcouru les lois françaises des infractions connexes à l’enrichissement illicite pour voir s’il y avait un lien suffisant de rattachement pour les substituer à l’infraction sénégalaise et pouvoir ainsi accorder son exequatur. Après ce travail le juge n’a trouvé aucune infraction présentant un fort lien de ressemblance avec l’enrichissement illicite de droit sénégalais c’est la raison pour laquelle il ne pouvait pas accorder l’exequatur au motif « qu’aucun de ces agissements spécifiques n’a été suffisamment établi à l’encontre de M. Wade, de sorte que les faits reprochés n’apparaissent pas constitutifs de l’une quelconque de ces infractions en droit français». Contrairement à ce qui a été dit ça et là, la décision du TGI de Paris n’entache en rien l’arrêt de la CREI qui a bénéficié de l’autorité de choses jugée car avant même de se prononcer sur l’exequatur, le juge français doit s’assurer d’abord que la décision qu’on lui demande d’ « exequaturer » bénéficie de l’autorité de la chose jugée c'est-à-dire qu’elle n’est plus susceptible d’être rejugée. Le juge français ne s’est donc pas prononcé ni sur la culpabilité ni sur la non culpabilité de Karim Wade et Bibo Bourgi, d’ailleurs cela ne lui avait pas été demandé car il n’en a pas tout simplement la compétence. De plus, un refus d’exequatur n’est en rien un désaveu de la justice étrangère et en ce sens : Dans un arrêt du 1er décembre 2010, M. et Mme X / Fountaine Pajot, la Cour de cassation française a refusé l’exequatur d'une décision rendue par la Cour suprême de Californie (Un Etat des Etats Unis d’Amérique) ayant condamné une société Française à indemniser un couple de nationalité Américaine vivant aux Etats-Unis. Le juge du TGI de Paris en statuant comme il l’a fait a cependant excédé ses pouvoirs en méconnaissance de la jurisprudence en vigueur de la Cours de cassation française. De lege lata, cette jurisprudence de la théorie de l’équivalence fort controversée, a été abandonnée par la Cour de cassation, dans l’arrêt Cornelissen du 20 février 2007. Cornelissen reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir accordé l’exequatur, alors que, selon la jurisprudence française, l'exequatur d'un jugement étranger ne peut être accordé en France que si le juge étranger a appliqué la loi désignée par la règle française de conflit ou une loi conduisant à un résultat équivalent. Mais la Cour de cassation opérant un revirement rejette ce pourvoi en décidant : « Pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ; le juge de l'exequatur n'a donc pas à vérifier que la loi appliquée par le juge étranger est celle désignée par la règle de conflit de lois française». La haute Cour venait ainsi de supprimer le contrôle de la loi étrangère appliquée c'est-à-dire la théorie de l’équivalence. Cette jurisprudence est, depuis, régulièrement confirmée Cour de cassation : Gazprombank/ Jean Lion le 30 janvier 2013, Cour d’appel de Paris Baltiyskiy Bank/ Stroïmontage 18 février 2014. Sadio Cissé, Juriste fiscaliste et Coordonnateur de LDR/ YEESAL Paris ou "LEKETBI"/ Paris.



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