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Sans argent ni papiers, les travailleuses domestiques migrantes piégées dans le chaos libanais

Rédigé par Dakarposte le Mardi 8 Octobre 2024 à 03:02 modifié le Mardi 8 Octobre 2024 - 03:05

Plus d’un million de personnes ont fui les bombardements israéliens qui s’abattent sur une large partie du Liban depuis le 23 septembre. Parmi elles, vulnérables parmi les vulnérables, les travailleuses domestiques migrantes, qui se retrouvent coincées dans le pays sans argent ni papiers. Des initiatives locales ont vu le jour pour tenter de leur venir en aide.


Sans argent ni papiers, les travailleuses domestiques migrantes piégées dans le chaos libanais
Suzanne accueille 31 compatriotes sierra-léonaises dans son petit appartement de Bourj Hammoud, le quartier arménien situé au nord de Beyrouth, en zone "sûre". Elles sont venues se réfugier chez cette Sierra Léonaise de 30 ans, venue travailler dans le pays du Cèdre en 2020, et ainsi fuir les bombardements quotidiens qui pleuvent sur le sud du Liban et la banlieue sud de Beyrouth depuis le 23 septembre. "Il y a des femmes de Tyr, Nabatieh, Dahieh, abandonnées par les familles chez qui elles travaillaient, sans aucun endroit où se réfugier", explique Suzanne.

L’une d’elles a même vu une frappe israélienne détruire l’immeuble en face de chez elle, à Dahieh, dans la banlieue sud de Beyrouth, et sa 'madame' fuir la zone en la chassant de chez elle, dans la rue", explique Suzanne, avant de lancer un appel à l’aide. Sans argent, elle n’a plus de travail à cause de la situation guerre, elle qui travaillait en "indépendante" chez plusieurs familles. Elle a cruellement besoin de nourriture, de matelas et de couvertures pour elle et ses "sœurs", qu’elle n'entend pas rejeter à la rue.

Les frappes meurtrières israéliennes qui se sont intensifiées depuis fin septembre ont causé le déplacement de plus d’un million de personnes, selon le premier ministre libanais Nagib Mikati. Parmi elles, des Libanais, des Syriens et Palestiniens réfugiés dans le pays, mais aussi des travailleuses domestiques migrantes.

Elles seraient 250 000 au pays du Cèdre, venues d’Afrique et d’Asie pour travailler dans des maisons sous le système de la "kafala", assimilé à une forme moderne d'esclavage en raison de l'instauration d'un lien de subordination de la domestique envers un garant.

L’ONU a déjà tiré l’alarme, se déclarant particulièrement préoccupée par le sort des travailleurs migrants du Liban – dont beaucoup sont des employées de maison – qui se sont retrouvés sans ressources en raison des déplacements massifs.


"Vulnérables parmi les vulnérables"

"Nous recevons de plus en plus de rapports selon lesquels des travailleuses domestiques migrantes sont abandonnées par leurs employeurs libanais : soit abandonnées dans la rue, soit chez elles lorsque leurs employeurs fuient… Elles viennent d’Éthiopie, du Kenya, du Sri Lanka, du Soudan, du Bangladesh et des Philippines. Et elles aussi ont été profondément affectées par la violence dans le pays", a déclaré, le 4 octobre, Mathieu Luciano, chef du bureau libanais de l’Organisation internationale pour les migrations.

C’est dans cette situation que Nasri Sayegh a retrouvé plusieurs femmes, assises en pleine nuit avec leurs maigres affaires sur le trottoir adjacent à la plage de Ramlet el Baïda, au sud de Beyrouth, en face du consulat de Sierra Leone.


Il découvre des femmes esseulées, "de toutes les couleurs, les plus vulnérables parmi les vulnérables". L’artiste écrivain de 45 ans, qui se définit avant tout comme "un Beyrouthin inquiet par le statut des personnes tétanisées par l’horreur israélienne", lance alors un appel à l’aide sur les réseaux sociaux.

Deux Libanaises lui répondent – "pas des justes, mais des sublimes", selon lui – et, en une journée, transportent une soixantaine de femmes dans une école publique mise à disposition par le gouvernement libanais pour accueillir les déplacés de guerre, à Tripoli, dans le nord du pays. Elles rejoignent ainsi plus de 165 000 déplacés accueillis dans 800 abris collectifs à travers le pays.

Le répit est de courte durée. Les bombardements intensifs qui se poursuivent dans le Sud, dans la vallée de la Bekaa, à Beyrouth et dans d’autres régions, font grossir les rangs des personnes privées de toit. Les abris sont pleins et la priorité est donnée aux Libanais par le gouvernement. "Le lendemain, le centre de Tripoli nous a demandé de repartir parce qu'ils voulaient faire de la place pour des Libanais et donc on les a déplacées de nouveau à Beyrouth", explique Dea Hage Chahine, une activiste de 30 ans. "Et c'est à ce moment-là, qu'on a réalisé qu'il y avait nulle part où les placer."


Elle essaie de leur trouver un hébergement. En vain. Les femmes passent la nuit sur le sol, dehors, sur la place des Martyrs, au centre-ville de Beyrouth. Le lendemain, la pluie commence à tomber sur le pays du Cèdre. La jeune femme met alors son réseau à disposition et convainc l’associé de son père de leur prêter un hangar à Hazmieh, dans la banlieue est de Beyrouth, pour accueillir les femmes migrantes en détresse. "Au début de la semaine, nous accueillions 70 femmes du Sierra Leone, avec trois bébés. Aujourd’hui, elles sont 150."

"Mais nous n’avions pas le choix, explique la jeune femme. C’était soit les laisser dans la rue sans que personne ne les aide, soit trouver un espace nous-mêmes et les accueillir nous-mêmes alors que ce n'est pas notre travail dans la vie." Un ami leur prête une cuisine industrielle, un autre leur donne 150 matelas ainsi que des couvertures. "On a besoin de nourriture, on a besoin d’eau, on a besoin de tellement de choses qu'on est en train de passer les journées à se coordonner pour essayer d'assurer le plus de donations."

Organiser le rapatriement
La jeune femme et les autres bénévoles ont lancé une campagne GoFundMe dimanche pour recueillir des fonds afin d'organiser leur rapatriement au Sierra Leone. Sans argent, les travailleuses migrantes n’ont souvent plus leur passeport en leur possession, confisqué à leur arrivée dans le pays par leur garant, ou seulement une photo de celui-ci sur leur téléphone.

"On a aussi besoin que la Sûreté générale se coordonne avec le consulat pour avoir des visas de sortie, des laissez-passer pour qu'elles puissent voyager", explique Dea Hage Chahine. Elle précise que les fonds récoltés serviront à payer les formalités administratives et le transport, à savoir un bateau jusqu’en Turquie puis un voyage en avion dans leur pays d'origine. Nasri Sayegh estime que 80 % des travailleuses migrantes sierra-léonaises souhaiteraient rentrer chez elles.

Suzanne, elle, ne veut pas rentrer en Sierra Leone, vu la situation dans son pays natal. Alors, elle reste dans l’appartement, où elle se sent en relative sécurité. "La situation est tellement mauvaise pour nous. Il n’y a plus de travail, et nous vivons dans la peur de la guerre, en redoutant que le propriétaire nous expulse si l’on fait trop de bruit." Quant au consulat de Sierra Leone, elle n’en attend rien. "Il n’y a rien ni personne qui puisse nous aider là-bas", dit-elle.

Dea Hage Chahine en appelle de son côté aux organisations internationales. "Ce qui me touche le plus avec les travailleurs migrants, c'est que personne d'autre ne s'en occupe, regrette-t-elle. Je me retrouve, moi – un individu volontaire –, à devoir faire le travail du gouvernement, du consulat, et de ces organisations, alors que ce n'est pas à moi de le faire. Heureusement, j’ai un réseau qui peut m’aider et me soutenir, mais les femmes que nous aidons ne constituent qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins."























France 24

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