A propos de la décision n° 1/C/2025 rendue le 23 avril 2025 par le Conseil constitutionnel déclarant contraire à la Constitution l’article premier de la loi n° 08/2025 adoptée par l’Assemblée en sa séance du 2 avril 2025, à tort ou à raison, tout a été dit ou presque, parfois même, par des voix autorisées. Seulement, ces voix, ne doivent point divaguer, parce qu’elles ont le devoir d’éprouver les argumentaires les mieux ficelés, de traquer les lacunes de la décision, ses approximations, ses extrapolations, ses contresens, ses incohérences, ses contrevérités, s’il y en a…, pour permettre au Conseil constitutionnel d’affiner ses futures décisions.
Une critique n’est pas toujours défavorable ou négative, mais elle doit toujours être constructive. Ce qui la caractérise toujours c’est le regard extérieur qu’elle jette sur une œuvre, ici sur la décision n° 1/C/2025 rendue le 23 avril 2025 par Conseil constitutionnel. Or, pour commenter une décision de justice, il faut bien comprendre son contexte, disséquer sa motivation et éventuellement, la mettre en perspective par rapport aux précédents, s’il y en a…car, l’affaire peut être tout à fait nouvelle et donc particulièrement intéressante.
Une « bonne » critique doit être fidèle aux faits de l’espèce, sans distortion, et juridiquement solide. Elle doit être courtoise, même sévère, si besoin.
Il faut donc, partir d’une « neutralité axiologique », pour reprendre les termes de Marx WEBER, afin de ramener ladite décision à sa seule dimension normative-scientifique du point de vue de la forme (I) et du fond (II) de l’affaire.
I- En la forme
Sur la forme, la décision n° 1/C/2025 rendue le 23 avril 2025 est bien riche en enseignement. En effet, des arguments sérieux visant à mettre à l’épreuve la compétence du Conseil constitutionnel (A) et la recevabilité du recours (B) ont été excipés.
A- La compétence du Conseil constitutionnel pour connaître d’une « loi interprétative »
Pour contester la compétence du Conseil constitutionnel, le Président de l’Assemblée nationale et l’Agent judiciaire de l’Etat ont soutenu dans leurs mémoires en réponse du 11 avril 2025, que les requérants excipent de la non-conformité de la loi interprétative à la Constitution, alors que le Conseil constitutionnel ne détient pas le pouvoir de statuer sur la conformité d’une loi interprétative avec une autre loi. Ce qui mettait l’espèce en question hors du champ du contrôle de constitutionnalité. Ils avaient soutenu que le contrôle de constitutionnalité des lois dévolu au Conseil constitutionnel ne s’étend pas aux lois interprétatives. Ils ont ajouté que la loi interprétative n’est pas une loi nouvelle puisqu’elle fait corps avec la loi qu’elle interprète et ne saurait en conséquence faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par voie d’action, indépendamment du texte de base dont elle est indissociable. Pour eux, le Conseil constitutionnel n’est pas un juge de l’opportunité ou de la qualification formelle de la loi. Ils en concluaient qu’eu égard à tous ces arguments, le Conseil constitutionnel devait se déclarer incompétent.
Pour rejeter le moyen, le Conseil constitutionnel pose la règle prévue par l’article 92 de la Constitution qui fixe sa compétence en matière de contrôle de constitutionnalité des lois en ces termes : « le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des lois (…) ».
Ce faisant, il considère que « ce texte ne distingue pas les lois en fonction de leur caractère interprétatif ou non ; que dès lors, la loi n° 08/2025 du 02 avril 2025, adoptée par l’Assemblée nationale, suivant la procédure législative prévue à cet effet, peut, indépendamment de la loi qu’elle interprète, faire l’objet d’un recours par voie d’action, conformément à l’article 74 de la Constitution ».
Il considère qu’il est ainsi compétent pour contrôler la conformité de ladite loi à la Constitution.
Le moyen fondé sur l’incompétence du Conseil était donc inopérant, la loi attaquée ayant été voté par l’Assemblée nationale suivant la procédure législative et le recours introduit conformément à l’article 74 de la Constitution.
B- La recevabilité du recours en inconstitutionnalité dirigé contre une « loi interprétative »
Dans son mémoire en réponse, l’Agent judiciaire de l’Etat a relevé que les députés Pape Djibril FALL, Djimo SOUARE, Mamadou Lamine THIAM et Mouhamadou NGOM n’ont pas signé la requête, laquelle n’est accompagnée que d’une copie de la loi déférée, sans l’exposé des motifs. Il en concluait à l’irrecevabilité du recours au motif que la requête ne respecte pas les dispositions de l’article 16 de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.
Dans sa réponse, le Conseil constitutionnel indique le but de l’exposé et sa valeur juridique. Il considère que l’exposé des motifs a pour objet d’indiquer les raisons pour lesquelles le projet de loi est soumis à l’Assemblée nationale et vise à éclairer le sens et la portée des dispositions de la loi ainsi que la démarche suivie lors de son élaboration. Il en déduisait qu’il n’a pas un caractère normatif.
Sur un autre registre, le moyen tiré de l’irrecevabilité du recours n’a pu prospérer. En effet, le Conseil fait remarquer que « la requête, bien que n’ayant pas été signée par Pape Djibril FALL, Djimo SOUARE, Mamadou Lamine THIAM et Mouhamadou NGOM, comporte la signature de 24 députés et est accompagnée de deux copies du texte de loi attaquée » ;
La conséquence qui résulte de cette argumentation du Conseil est le rejet du moyen et la recevabilité de la requête car ayant été introduite conformément aux dispositions des articles 74 de la Constitution et 16 de loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.
On peut bien le remarquer, les arguments tirés de l’incompétence du Conseil à connaître de l’affaire et de l’irrecevabilité du recours n’ont pas pu résister à la motivation tirée des textes pertinents qui régissent la compétence et la saisine du Conseil constitutionnel.
En partant de ces réponses sur les questions de forme, la Conseil a statué au fond pour dénouer le lit du contentieux généré par la loi portant interprétation de la loi d’amnistie.
II- Au fond
Au fond, l’examen de la constitutionnalité de la loi portant interprétation de la loi d’amnistie a amener le Conseil constitutionnel a posé deux règles formulées en interdictions : l’interdiction d’une loi portant interprétation de la loi pénale de contenir des dispositions rétroactives plus sévères que la loi qu’elle est censée interpréter (A) et l’interdiction d’intégrer dans le champ de la loi d’amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal (B).
A- L’interdiction faite à la loi portant interprétation de la loi pénale de contenir des dispositions rétroactives plus sévères que celles de la loi qu’elle est censée interpréter
C’est bien connu des juristes, la loi interprétative est une loi adoptée pour clarifier le sens et la portée d’une loi antérieure. Elle vise à expliquer ou à préciser une disposition législative existante afin de dissiper toute ambiguïté ou controverse sur son interprétation. La loi interprétative rétroagit généralement à la date de la loi qu’elle interprète.
La loi interprétative vise donc à préciser la volonté du législateur et à assurer une application uniforme de la loi. Elle se singularise en raison des caractéristiques suivantes : clarification et rétroactivité. Cependant lorsqu’un parlement adopte une telle loi, le but de précision législative poursuivi ne peut pas occulter les faiblesses de la législation initiale en raison de l’imprécision perçue de la loi interprétée.
Toutefois, il est heureux de constater que le Conseil constitutionnel, s’était évertué à poser les règles qui doivent caractériser une loi pour qu’elle puisse être considérée comme interprétative. En effet, la juridiction constitutionnelle a considéré que, ne revêt ce caractère que la loi qui « se borne à expliciter le sens d’un texte antérieur, dont la signification était obscure ou ambiguë, sans poser une règle nouvelle ».
Fort de ce cette précision, le Conseil constitutionnel rappelle que la loi portant amnistie ne présentait aucune ambiguïté en ce qu’elle incluait dans son champ d’application, pour les avoir expressément cités, les faits se rapportant à des manifestations, et ce indifféremment de l’existence d’un lien avec l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique. Déjà, par cette précision, la juridiction fait remarquer qu’un des critères qui doivent conduire le législateur à adopter une loi interprétative, à savoir l’ambiguïté de la loi interprétée, n’était pas rempli.
En outre, le Conseil a vérifié si la loi attaquée s’est abstenue de poser une règle nouvelle. Pour cela, le Conseil considère qu’en « mettant hors du champ d’application de la loi portant amnistie les faits se rapportant à des manifestations ou ayant une motivation politique, lorsque ces faits ne sont pas liés à l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique, l’alinéa premier de la loi n° 08/2025 du 02 avril 2025 pose une règle nouvelle », ce qui est interdit à une « loi interprétative ». Le Conseil a constaté que la loi déférée « en tant qu’elle restreint le champ d’application de la loi portant amnistie, en excluant des faits que celle-ci couvrait, modifie substantiellement cette dernière et permet la poursuite de faits déjà amnistiés ».
Or, l’article 9 de la Constitution dispose en son alinéa 2 que « Nul ne peut être condamné si ce n’est en vertu d’une loi entrée en vigueur avant l’acte commis ». Cette règle étant également affirmé par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen 1789 qui figure dans le préambule de la Constitution, qui est partie intégrante de celle-ci.
En des termes plus clairs, « ces textes prohibent l’application rétroactive des lois pénales plus sévères, y compris lorsqu’elles prennent la forme d’une loi interprétative ».
Pour déclarer contraire à la Constitution l’alinéa premier de l’article premier de la loi attaquée, le Conseil constitutionnel considère : « dès lors, étant plus sévère que la loi qu’il est censé interpréter et devant s’appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, l’alinéa premier de l’article premier de la loi n° 08/2025 du 02 avril 2025 viole le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères prévu par l’article 9 de la Constitution ».
B- L’interdiction d’intégrer dans le champ de la loi d’amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal
Sur le fondement de l’article 17 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel, « si le Conseil constitutionnel relève dans la loi contestée soumise à son examen une violation de la Constitution, qui n’a pas été invoquée, il doit la soulever d’office ».
Cette disposition permet au Conseil constitutionnel, une fois saisi, de purger de la loi attaquée de toute inconstitutionnalité, même si celle-ci n’est pas soulevée par les requérants. Cela participe à « l’assainissement » de l’ordre juridique et à la mise en conformité des lois avec notre ordre constitutionnel.
Au « sens de l’alinéa 2 de la loi attaquée, les faits tenus pour criminels d’après les règles du droit international, notamment l’assassinat, le meurtre, le crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, sont inclus dans le champ de l’amnistie lorsqu’ils ont un lien avec l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique ». Or, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 9 de la Constitution, le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères ne fait pas obstacle à la poursuite des faits tenus pour criminels d’après les règles du droit international.
Ces règles du droit international, qui « déclarent imprescriptibles, et donc non susceptibles d’amnistie, les faits tenus pour criminels d’après les règles du droit international », sont prévues par les conventions internationales adoptées dans le cadre des Nations Unies et les l’Organisation de l’Unité africaine et figurent dans le Préambule de la Constitution, partie intégrante de la loi fondamentale, ce qui leur confère une valeur constitutionnelle.
Contre toute attente, le législateur, par l’alinéa 2 de l’article premier de la loi dite interprétative, a, soit volontairement, soit par une inadvertance rédactionnelle, voulu faire obstacle à la répression de crimes imprescriptibles et priver de leur portée les principes relatifs à la sauvegarde de la dignité humaine au motif que ces crimes seraient liés à l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique.
Le Conseil constitutionnel a considéré que ce texte, en mettant dans le champ d’application de la loi d’amnistie ces crimes imprescriptibles, viole la Constitution. Il faut bien le préciser, la juridiction constitutionnelle ne conçoit pas d’application de la « loi de l’oubli » pour les crimes perpétrés contre la communauté des nations et l’humanité en tant que telles. Cette position du Conseil constitutionnel répond aux exigences de la Convention des Nations Unies du 26 novembre 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui stipule en son article IV que « les Etats doivent prendre les mesures législatives propres à lui donner effet dans leur ordre juridique interne respectif (…) ».
Par
Cheikh Mbacké NDIAYE
Docteur en droit public
Magistrat affecté au Conseil constitutionnel
Membre du Service d’Études et de Documentation (SED) du Conseil constitutionnel
Lauréat du prix de thèse de la Conférence des juridictions constitutionnelles d’Afrique
https://lesoleil.sn/wp-content/uploads/2025/04/IMG-20250430-WA0116.jpg
source: Le Soleil
Une critique n’est pas toujours défavorable ou négative, mais elle doit toujours être constructive. Ce qui la caractérise toujours c’est le regard extérieur qu’elle jette sur une œuvre, ici sur la décision n° 1/C/2025 rendue le 23 avril 2025 par Conseil constitutionnel. Or, pour commenter une décision de justice, il faut bien comprendre son contexte, disséquer sa motivation et éventuellement, la mettre en perspective par rapport aux précédents, s’il y en a…car, l’affaire peut être tout à fait nouvelle et donc particulièrement intéressante.
Une « bonne » critique doit être fidèle aux faits de l’espèce, sans distortion, et juridiquement solide. Elle doit être courtoise, même sévère, si besoin.
Il faut donc, partir d’une « neutralité axiologique », pour reprendre les termes de Marx WEBER, afin de ramener ladite décision à sa seule dimension normative-scientifique du point de vue de la forme (I) et du fond (II) de l’affaire.
I- En la forme
Sur la forme, la décision n° 1/C/2025 rendue le 23 avril 2025 est bien riche en enseignement. En effet, des arguments sérieux visant à mettre à l’épreuve la compétence du Conseil constitutionnel (A) et la recevabilité du recours (B) ont été excipés.
A- La compétence du Conseil constitutionnel pour connaître d’une « loi interprétative »
Pour contester la compétence du Conseil constitutionnel, le Président de l’Assemblée nationale et l’Agent judiciaire de l’Etat ont soutenu dans leurs mémoires en réponse du 11 avril 2025, que les requérants excipent de la non-conformité de la loi interprétative à la Constitution, alors que le Conseil constitutionnel ne détient pas le pouvoir de statuer sur la conformité d’une loi interprétative avec une autre loi. Ce qui mettait l’espèce en question hors du champ du contrôle de constitutionnalité. Ils avaient soutenu que le contrôle de constitutionnalité des lois dévolu au Conseil constitutionnel ne s’étend pas aux lois interprétatives. Ils ont ajouté que la loi interprétative n’est pas une loi nouvelle puisqu’elle fait corps avec la loi qu’elle interprète et ne saurait en conséquence faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par voie d’action, indépendamment du texte de base dont elle est indissociable. Pour eux, le Conseil constitutionnel n’est pas un juge de l’opportunité ou de la qualification formelle de la loi. Ils en concluaient qu’eu égard à tous ces arguments, le Conseil constitutionnel devait se déclarer incompétent.
Pour rejeter le moyen, le Conseil constitutionnel pose la règle prévue par l’article 92 de la Constitution qui fixe sa compétence en matière de contrôle de constitutionnalité des lois en ces termes : « le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des lois (…) ».
Ce faisant, il considère que « ce texte ne distingue pas les lois en fonction de leur caractère interprétatif ou non ; que dès lors, la loi n° 08/2025 du 02 avril 2025, adoptée par l’Assemblée nationale, suivant la procédure législative prévue à cet effet, peut, indépendamment de la loi qu’elle interprète, faire l’objet d’un recours par voie d’action, conformément à l’article 74 de la Constitution ».
Il considère qu’il est ainsi compétent pour contrôler la conformité de ladite loi à la Constitution.
Le moyen fondé sur l’incompétence du Conseil était donc inopérant, la loi attaquée ayant été voté par l’Assemblée nationale suivant la procédure législative et le recours introduit conformément à l’article 74 de la Constitution.
B- La recevabilité du recours en inconstitutionnalité dirigé contre une « loi interprétative »
Dans son mémoire en réponse, l’Agent judiciaire de l’Etat a relevé que les députés Pape Djibril FALL, Djimo SOUARE, Mamadou Lamine THIAM et Mouhamadou NGOM n’ont pas signé la requête, laquelle n’est accompagnée que d’une copie de la loi déférée, sans l’exposé des motifs. Il en concluait à l’irrecevabilité du recours au motif que la requête ne respecte pas les dispositions de l’article 16 de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.
Dans sa réponse, le Conseil constitutionnel indique le but de l’exposé et sa valeur juridique. Il considère que l’exposé des motifs a pour objet d’indiquer les raisons pour lesquelles le projet de loi est soumis à l’Assemblée nationale et vise à éclairer le sens et la portée des dispositions de la loi ainsi que la démarche suivie lors de son élaboration. Il en déduisait qu’il n’a pas un caractère normatif.
Sur un autre registre, le moyen tiré de l’irrecevabilité du recours n’a pu prospérer. En effet, le Conseil fait remarquer que « la requête, bien que n’ayant pas été signée par Pape Djibril FALL, Djimo SOUARE, Mamadou Lamine THIAM et Mouhamadou NGOM, comporte la signature de 24 députés et est accompagnée de deux copies du texte de loi attaquée » ;
La conséquence qui résulte de cette argumentation du Conseil est le rejet du moyen et la recevabilité de la requête car ayant été introduite conformément aux dispositions des articles 74 de la Constitution et 16 de loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.
On peut bien le remarquer, les arguments tirés de l’incompétence du Conseil à connaître de l’affaire et de l’irrecevabilité du recours n’ont pas pu résister à la motivation tirée des textes pertinents qui régissent la compétence et la saisine du Conseil constitutionnel.
En partant de ces réponses sur les questions de forme, la Conseil a statué au fond pour dénouer le lit du contentieux généré par la loi portant interprétation de la loi d’amnistie.
II- Au fond
Au fond, l’examen de la constitutionnalité de la loi portant interprétation de la loi d’amnistie a amener le Conseil constitutionnel a posé deux règles formulées en interdictions : l’interdiction d’une loi portant interprétation de la loi pénale de contenir des dispositions rétroactives plus sévères que la loi qu’elle est censée interpréter (A) et l’interdiction d’intégrer dans le champ de la loi d’amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal (B).
A- L’interdiction faite à la loi portant interprétation de la loi pénale de contenir des dispositions rétroactives plus sévères que celles de la loi qu’elle est censée interpréter
C’est bien connu des juristes, la loi interprétative est une loi adoptée pour clarifier le sens et la portée d’une loi antérieure. Elle vise à expliquer ou à préciser une disposition législative existante afin de dissiper toute ambiguïté ou controverse sur son interprétation. La loi interprétative rétroagit généralement à la date de la loi qu’elle interprète.
La loi interprétative vise donc à préciser la volonté du législateur et à assurer une application uniforme de la loi. Elle se singularise en raison des caractéristiques suivantes : clarification et rétroactivité. Cependant lorsqu’un parlement adopte une telle loi, le but de précision législative poursuivi ne peut pas occulter les faiblesses de la législation initiale en raison de l’imprécision perçue de la loi interprétée.
Toutefois, il est heureux de constater que le Conseil constitutionnel, s’était évertué à poser les règles qui doivent caractériser une loi pour qu’elle puisse être considérée comme interprétative. En effet, la juridiction constitutionnelle a considéré que, ne revêt ce caractère que la loi qui « se borne à expliciter le sens d’un texte antérieur, dont la signification était obscure ou ambiguë, sans poser une règle nouvelle ».
Fort de ce cette précision, le Conseil constitutionnel rappelle que la loi portant amnistie ne présentait aucune ambiguïté en ce qu’elle incluait dans son champ d’application, pour les avoir expressément cités, les faits se rapportant à des manifestations, et ce indifféremment de l’existence d’un lien avec l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique. Déjà, par cette précision, la juridiction fait remarquer qu’un des critères qui doivent conduire le législateur à adopter une loi interprétative, à savoir l’ambiguïté de la loi interprétée, n’était pas rempli.
En outre, le Conseil a vérifié si la loi attaquée s’est abstenue de poser une règle nouvelle. Pour cela, le Conseil considère qu’en « mettant hors du champ d’application de la loi portant amnistie les faits se rapportant à des manifestations ou ayant une motivation politique, lorsque ces faits ne sont pas liés à l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique, l’alinéa premier de la loi n° 08/2025 du 02 avril 2025 pose une règle nouvelle », ce qui est interdit à une « loi interprétative ». Le Conseil a constaté que la loi déférée « en tant qu’elle restreint le champ d’application de la loi portant amnistie, en excluant des faits que celle-ci couvrait, modifie substantiellement cette dernière et permet la poursuite de faits déjà amnistiés ».
Or, l’article 9 de la Constitution dispose en son alinéa 2 que « Nul ne peut être condamné si ce n’est en vertu d’une loi entrée en vigueur avant l’acte commis ». Cette règle étant également affirmé par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen 1789 qui figure dans le préambule de la Constitution, qui est partie intégrante de celle-ci.
En des termes plus clairs, « ces textes prohibent l’application rétroactive des lois pénales plus sévères, y compris lorsqu’elles prennent la forme d’une loi interprétative ».
Pour déclarer contraire à la Constitution l’alinéa premier de l’article premier de la loi attaquée, le Conseil constitutionnel considère : « dès lors, étant plus sévère que la loi qu’il est censé interpréter et devant s’appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, l’alinéa premier de l’article premier de la loi n° 08/2025 du 02 avril 2025 viole le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères prévu par l’article 9 de la Constitution ».
B- L’interdiction d’intégrer dans le champ de la loi d’amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal
Sur le fondement de l’article 17 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel, « si le Conseil constitutionnel relève dans la loi contestée soumise à son examen une violation de la Constitution, qui n’a pas été invoquée, il doit la soulever d’office ».
Cette disposition permet au Conseil constitutionnel, une fois saisi, de purger de la loi attaquée de toute inconstitutionnalité, même si celle-ci n’est pas soulevée par les requérants. Cela participe à « l’assainissement » de l’ordre juridique et à la mise en conformité des lois avec notre ordre constitutionnel.
Au « sens de l’alinéa 2 de la loi attaquée, les faits tenus pour criminels d’après les règles du droit international, notamment l’assassinat, le meurtre, le crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, sont inclus dans le champ de l’amnistie lorsqu’ils ont un lien avec l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique ». Or, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 9 de la Constitution, le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères ne fait pas obstacle à la poursuite des faits tenus pour criminels d’après les règles du droit international.
Ces règles du droit international, qui « déclarent imprescriptibles, et donc non susceptibles d’amnistie, les faits tenus pour criminels d’après les règles du droit international », sont prévues par les conventions internationales adoptées dans le cadre des Nations Unies et les l’Organisation de l’Unité africaine et figurent dans le Préambule de la Constitution, partie intégrante de la loi fondamentale, ce qui leur confère une valeur constitutionnelle.
Contre toute attente, le législateur, par l’alinéa 2 de l’article premier de la loi dite interprétative, a, soit volontairement, soit par une inadvertance rédactionnelle, voulu faire obstacle à la répression de crimes imprescriptibles et priver de leur portée les principes relatifs à la sauvegarde de la dignité humaine au motif que ces crimes seraient liés à l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit démocratique.
Le Conseil constitutionnel a considéré que ce texte, en mettant dans le champ d’application de la loi d’amnistie ces crimes imprescriptibles, viole la Constitution. Il faut bien le préciser, la juridiction constitutionnelle ne conçoit pas d’application de la « loi de l’oubli » pour les crimes perpétrés contre la communauté des nations et l’humanité en tant que telles. Cette position du Conseil constitutionnel répond aux exigences de la Convention des Nations Unies du 26 novembre 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui stipule en son article IV que « les Etats doivent prendre les mesures législatives propres à lui donner effet dans leur ordre juridique interne respectif (…) ».
Par
Cheikh Mbacké NDIAYE
Docteur en droit public
Magistrat affecté au Conseil constitutionnel
Membre du Service d’Études et de Documentation (SED) du Conseil constitutionnel
Lauréat du prix de thèse de la Conférence des juridictions constitutionnelles d’Afrique
https://lesoleil.sn/wp-content/uploads/2025/04/IMG-20250430-WA0116.jpg
source: Le Soleil