Dakarposte.com - Le site des scoops
Dakarposte.com
 

​De quel droit parle-t-on à propos de l’affaire Khalifa Ababacar Sall ?

Rédigé par Dakarposte le Dimanche 27 Janvier 2019 à 16:12

Dakarposte publie in extenso cette contribution de M. Meïssa DIAKHATE Maître de Conférences titulaire Faculté des Sciences juridiques et politiques Université Cheikh Anta Diop de Dakar


​De quel droit parle-t-on à propos de l’affaire Khalifa Ababacar Sall ?
 Le droit est et demeure une science relative ; tout de même, il est univoque, à la condition qu’on accède, sans embrouillement, à l’entendement juridique. En vérité, « on ne peut parler de droit que dans la langue du droit, c’est pour cette raison très simple que la plupart des institutions et des concepts juridiques n’ont pas de dénomination dans le langage courant ». Telle est la sagesse d’esprit d’une célèbre société savante de droit qui commande, à travers ce présent article, l’objectif de délivrer une réflexion sur la condamnation définitive, en tant qu’obstacle dirimant à la candidature à l’élection présidentielle. En l’occurrence les Sénégalais sont perplexes : à quel juriste se vouer ? Plus que jamais auparavant, le débat juridique diffusé est obscurci voire pollué. Pour cause, il y a lieu de déplorer, à mon avis, une crise conjoncture d’autorité à l’Université qui s’exprime à travers la célébration de soi, par les uns ainsi que, et surtout, l’usage abusif du label de « Professeur » souvent sans rattachement institutionnel et parfois sans titre du CAMES, par les autres. Cet imbroglio intelligemment orchestré fait de certains d’eux de brillants « journalistes du droit ».

Décidément, le titre de « professeur » n’ennoblit point ; à la limite, elle a, le cas échéant, une valeur de sobriquet intellectuel. Plus regrettable, la sédimentation de certains concepts mécaniquement assimilés, qui vernissent généralement le débat public, est à l’origine d’un chaos sémantique. Pour la circonstance, le choix est volontairement fait de ne pas nourrir l’agitation intellectuelle autour de la notion de rabat d’arrêt. La lecture de la loi et l’analyse d’une doctrine faisant foi nous obligent à revêtir notre réflexion d’une orientation strictement pédagogique. Qu’en dit la loi ? Rien d’autre que la condamnation « définitive ». Disons-le, pour faire court, c’est ce qui ressort des termes du Code électoral, du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et de la Constitution. Qu’en pense la doctrine ? La réponse à cette question est un prétexte pour faire parler une doctrine accessible et familière aux juristes. L’auteur du précieux Vocabulaire juridique, Gérard Cornu, rappelle qu’un jugement définitif, c’est ce qui est jugé au fond. Ce qui revient, en ce sens, à comprendre qu’un jugement « au fond » est définitif et a l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. Et l’éclairant, l’auteur précise que « définitif ne signifie pas irrévocable, ni insusceptible d’appel ». Ainsi, un jugement définitif est susceptible de recours en appel ou de pourvoi en cassation s’il est respectivement rendu en premier ressort ou en premier et dernier ressort. De sorte, le jugement définitif est celui qui tranche une contestation de telle sorte que le tribunal est désormais dessaisi de tout pouvoir de juridiction relativement à cette contestation.

A l’analyse, le jugement définitif entraîne le dessaisissement du juge. Celui-ci ne pourra modifier ou revenir d’une quelconque manière sur cette question, sauf notamment pour interpréter sa décision ou rectifier des erreurs matérielles. C’est parce que le juge a épuisé ses pouvoirs juridictionnels relativement à cette question que le jugement est définitif. Ce jugement éteint le lien juridique d’instance, il dessaisit le juge et a autorité de la chose jugée dès son prononcé (et non force de chose jugée). Il peut encore faire l'objet d'une voie de recours. Doit-on confondre « définitif » et irrévocable » ? Evidemment que non ! La précision est plus que jamais nécessaire pour interroger ces notions juridiques. Selon toujours Gérard Cornu, un jugement irrévocable se dit d’un jugement qui ne peut plus être attaqué par une « voie extraordinaire de recours ». Ces voies de recours dites « extraordinaires » ou « spéciales », par opposition aux voies de réformation (appel et cassation) couvrent notamment, en matière pénale, les voies de rétractation telles que la tierce opposition, le recours en révision ou la rectification d’erreur matérielle, du fait que ces recours ont été exercés ou que les délais de recours sont expirés ; « ne pas confondre avec définitif ». Dès lors, il ne faut pas associer le jugement définitif, qui peut encore faire l’objet d’une voie de recours, au jugement irrévocable, qui n’en peut plus. Qu’en est-il du rabat d’arrêt ? Sinon qu’il n’emprunte au pourvoi en cassation que les actes à accomplir dans le cadre du déroulement de la procédure. Dans sa légendaire sagacité doctrinale, le Professeur El Hadj Mbodji, - oui lui il l’est et, c’est important, son savoir forge l’admiration de ses disciples - fait noter, dans un article de doctrine intitulé « La mise à mort du rabat d’arrêt. Observations s/c Conseil constitutionnel : 23 juin 1993 » in Revue internationale de droit africain EDJA, n° 23, 1994, « L’erreur de procédure s’attache essentiellement au non respect des formalités substantielles qui entourent la saisine du juge compétent. Elle est un vice de forme et non de fond. Si en statuant au fond le juge commet une erreur d’appréciation dans l’application de la loi, l’erreur qui en résulte affecte le contenu de la décision sans ouvrir la voie au rabat d’arrêt ». Sous ces considérations, la recevabilité du rabat d’arrêt est subordonnée à la réalisation de trois conditions cumulatives : une erreur de procédure, une erreur imputable au juge et une erreur affectant la décision de justice. Empruntant encore à l’émient auteur son propos, on peut dire que « la requête en rabat d’arrêt concerne les affaires pour lesquelles le juge n’a pas eu l’opportunité de se prononcer sur le fond en raison de son rejet pour irrecevabilité ». Si on est fondé à formuler une appréciation sur l’affaire, on peut dire qu’il s’agit de « donner lieu à des manœuvres dilatoires de justiciables de mauvaise foi » (tiré de l’article précité). Toutes choses dont on aurait sainement épargné au requérant Khalifa Ababacar Sall. Dans l’affaire en cause, il est par ailleurs allégué la composition irrégulière de la Cour parce que siégeant en nombre pair. En l’espèce, il faut considérer que la seule mention habilitée à faire foi est évidemment celle des « noms des magistrats qui ont rendu l’arrêt, le nom du rapporteur étant spécifié. Ce qui ‘est contestable qu’à travers l’arrêt dûment délivré aux parties. Au fond, dans des considérants de la Décision n° 3-E-2019 du 20 janvier 2019, le Conseil constitutionnel a raison de ne pas faire prospérer le moyen tiré du caractère suspensif en jugeant que « le rabat d’arrêt ne peut être assimilé à un deuxième pourvoi en cassation ». A ce propos, il est éclairant de rappeler qu’en France une décision rendue en matière pénale devient définitive, et par conséquent exécutoire, à l'expiration du délai de pourvoi en cassation ou lors du rejet du pourvoi. Par ailleurs, rappelons que pour avoir commenté la décision 006/CC/MC/ du 15 mai 2014, par laquelle la Cour avait accusé le président du Parlement Hama Amadou, ex-allié du régime passé en août 2013 dans l'opposition, d'être responsable du « blocage » de travaux au Parlement et d'avoir, par conséquent, « violé la Constitution », un enseignant de droit s'est vu décerner un mandat de dépôt puis écrouer à la prison civile de Niamey. Il aurait déclaré que la Cour a « outrepassé ses attributions constitutionnelles », selon le Procureur de la République, pour qui le juriste est allé "trop loin dans ses commentaires ». Cette poursuite semble trouver son fondement dans une lecture combinée des dispositions du deuxième alinéa de l’article 134 de la Constitution du Niger du 25 novembre 2010 qui dispose que « tout jet de discrédit sur les arrêts de la Cour est sanctionné conformément aux lois en vigueur » et celles du premier alinéa premier de l’article 171 Code pénal nigérien aux termes duquel « quiconque aura publiquement, par des paroles ou écrits, cherché à jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance, sera puni de un à six mois d’emprisonnement et d’une amende de 50. 000 à 500.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement. ». C’est vrai que nous apprenons parfois des autres à nos dépens. L’exemple n’est pas reproductible dans notre contexte. Je le comprends aisément, le Constituant sénégalais a légitimement voulu magnifier notre belle tradition démocratique. Il ne nous reste qu’à le mériter. Hélas, hélas, hélas ! Nos comportements ne cessent de le démentir. La raison est qu’il « il se trouve toujours dans un pays des juristes de bonne volonté qui occupent leurs loisirs à juger les juges et les jugements ».



Meïssa DIAKHATE Maître de Conférences titulaire Faculté des Sciences juridiques et politiques Université Cheikh Anta Diop de Dakar 



Inscription à la newsletter






Vidéos & images