Dakarposte.com - Le site des scoops
Dakarposte.com
 

​Thio Guissé, cet homme atypique qui nous… rassemble !

Rédigé par Dakarposte le Samedi 16 Mars 2019 à 13:51

Dans tous les pays du monde, il est des hommes qui passent pour être des légendes vivantes grâce à une aura naturelle qui fait que chaque jour que le soleil se lève, une forte attention humaine se concentre sur eux. Tel est le cas de Thio Guissé, ce sexagénaire contemporain de la joie de vivre, qui revendique une personnalité truffée de paradoxes et de consensus. Dans l’entretien décontracté qu’il a bien voulu nous accorder, cette franchise personnifiée a libéré des confidences sur sa personne qui risquent fort d’étonner ceux qui, jusqu’ici, croyaient bien le connaître.


La première chose qui vous marque quand vous entrez en débat de fond avec Thio Guissé, c’est son attachement profond  ses origines et  tous les détails sociaux qui le tiennent lié  son passé. Par exemple, rien qu’en racontant d’ou lui vient ce surnom de Thio, ses yeux s’enflamment  l’envi : « Mon vrai nom c’est Macoura Guissé. Mais comme j’aimais beaucoup le son de mil qu’on appelle « thiokh » en wolof, mes amis ont vite fait de me coller ce sobriquet. Une année, une dame bien connue, Marème Wone Ly, qui a dirigé le parti PARENA, est venues pendant les vacances chez nous au Djolof. Puisqu’il était un peu trop assimilée sur les bords, au lieu de m’appeler « thiokh », elle a déformé la prononciation et a prononcé Thio. Mes camarades se moquaient alors de moi. Je me suis battu une fois, deux fois, et c’est resté… »  

Pour cet homme, la vie n’est ni plus ni moins qu’une tasse de café. Qu’il faut prendre, même dans les positions les plus inconfortables : debout, couché, assis ou incliné ! « moi, j’aime bien l’ambiance des bars et des cafés. Et comme vous me voyez là, je vis presque ici, dans l’endroit où nous sommes, au Café de Rome… »

A pied d’œuvre dès 5 heures du matin, il fait sa prière et s’élance dans les rues de son quartier pour une partie de footing auroral. Mais avant de regagner la maison, il fait un détour chez des amis blancs qui tiennent un bar dans les alentours pour y prendre la première tasse café qui lui ouvre le grand boulevard d’une nouvelle journée surchargée, faites de séances d’écoute salutaires. En effet, tous les jours, après avoir effectué quelques courses rituelles liées à un business lucratif, il s’empresse de regagner cet antre mythique qu’est le Café de Rome. Là, entre le cliquetis des verres qui rassérènent, le choc des plats et la spirale des conciliabules, il revêt sa tunique de thaumaturge et monte sur sa tribune de prêtre aguerri pour accueillir nombre de désespérés et d’angoissés avec leurs lots d’interrogations et de plaies mentales mal refermées. «  Vous ne pouvez point vous imaginer le nombre de personnes qui passent me voir ici, à cette table du Café de Rome par jour », confesse-t-il.

Thio revendique deux casquettes parmi les plus lourdes à porter : il se définit comme un redoutable self made man enfanté par un autodidacte. « J’ai fait mes humanités à Dakar, mais je ne suis pas allé au-delà de la classe de 5ème. Mais c’est à ce niveau scolaire aussi que j’ai lu l’ouvrage-culte qu’est « Le Capital» de Karl Marx. Et quand je les en entretenais, mes camarades écarquillaient les yeux. »  
Très tôt acquis à la cause de la classe ouvrière et aux idéologies qui la promeuvent, Thio n’a pas tardé à se lancer sur les chemins de l’aventure pour faire quelque chose de ses dix doigts, à l’image de ses camarades prolétaires du monde occidental. « En France, confie-t-il, j’ai choisi de travailler dans les usines pour être connecté à la vaste rumeur ouvrière qui avait cours en Occident. La flamme des idéaux du communisme m’avait touché de plein fouet. »
Militant de la première heure du RND, Thio Guissé se découvre cependant très tôt une passion extraordinaire pour l’écriture et les mots. Il s’initie à l’art de la rédaction dans le journal du parti et, enivré par ses aptitudes en la matière, devient un contributeur patenté dans les journaux de l’époque. « Il ne se passait pas une semaine sans que je ne publie ici ou là une contribution décapante sur un sujet quelconque ».
Voilà donc comment par la force des choses, les dieux du journalisme ont tiré le jeune garçon « aux semelles de vent » vers les avenues de la communication. Rien d’étonnant pour qui se fait un point d’honneur de recueillir sanglots et soupirs de l’humanité. Thio avoue s’être reconverti en un consultant en communication. A vrai dire, à force de l’écouter disserter sur l’ampleur et l’extrême hétérogénéité de ses relations, on finit inéluctablement par se faire à l’idée qu’il est bien plus que cela. On ne peut pas ne pas forcer l’attention et l’écoute de ses semblables quand on a des fréquentations aussi éclectiques que les siennes. « J’ai des amis partout, même dans les milieux les plus insoupçonnables, je vous dis. J’ai des amis dans toutes les sphères politiques, sans aucunement partager leurs visions respectives. La vérité est que je choisis mes amis sur la base de leur simplicité et de leur sincérité. Voilà ce qui me donne le droit de fréquenter certains libéraux, de partager avec les gauchistes et d’avoir une estime sans bornes pour un responsable socialiste comme Tanor Dieng. Voilà un homme de grande valeur par exemple, que les sénégalais n’ont pas malheureusement su découvrir.  Moi, à chaque présidentielle, je vote Tanor, les yeux fermés. C’est connu ça, et je n’ai jamais cherché à le cacher.  Pourtant je ne suis pas socialiste et même la maison du parti, je n’y ai mis les pieds qu’une seule fois, et c’était pour rendre visite à l’ami Tanor, car j’étais resté trop longtemps sans le voir et il fallait lui dire bonjour. Donc si vous me saisissez bien, je supporte l’homme Tanor parce qu’il est simple et bien, et non son obédience politique. »
Ce qui est extraordinaire chez Thio, c’est cette aptitude à se faire adopter dans les sphères les plus organiquement contradictoires sans se renier, sans perdre une parcelle de sa ligne de conduite originelle. Loin de la rumeur classique des salons mondains peuplés d’intellectuels ambitieux qui pensent le monde au rythme du temps universel, Thio se plaît sincèrement à échanger des confidences apaisées et apaisantes avec les gardiens du temple de la tradition. « J’ai mes entrées régulières dans l’espace des maîtres de nos traditions. Garmi est un ami, Mbaye Pekh partage souvent le repas avec moi, et comme tout le monde le sait maintenant, El Hadji Mansour Mbaye est la personnalité que je fréquente le plus régulièrement dans ce pays. »
Comme ce grand maître de langue qu’il admire tant, il ne se reconnaît pas de « sens interdit » dans le milieu de ses compatriotes.  A ce propos, il claironne avec un brin d’orgueil : «Je suis guéri, moi, des chapelles politiques, religieuses et autres compartimentations idéologiques, depuis longtemps. Et on ne m’y prendra plus facilement, je crois. »
Ce Sisyphe qui fait métier de pousser tranquillement sa pierre de convictions ne cherche pas à être tendre avec les spectacles tristement désolants que son peuple fait défiler sous ses yeux. « Le Sénégal d’aujourd’hui marche sur la tête et non sur les pieds. Sinon, comment est-ce possible qu’on voit tous les jours des jeunes filles qui sont à l’école, en 2nde ou première courir à perdre haleine derrière les véhicules de lutteurs ou je ne sais quoi ? Comment se fait-il qu’elles se battent comme des chiffonniers pour ces gens ? Ces genres de comportements sont incompréhensibles et inadmissibles ! »
Les intellectuels du Sénégal n’échappent pas eux aussi aux éclaboussures de son mépris fraternel. Il leur reproche leur introversion sans lendemain : « Il n’y a, dit-il, qu’au Sénégal où on trouve des intellectuels éternellement repliés dans leurs bureaux, entre quatre murs. Combien de grands journalistes français rédigent l’essentiel de leurs articles dans l’ambiance électrique des bars à Paris ? On ne les compte pas.  Je ne parlerai pas de tant et tant de grands intellectuels et hommes politiques de gauche (Mitterrand, Hollande…) qui ont tenu des rencontres décisives dans les arrière-cours de quelques bars de France… »
Sans entretenir avec elle le moindre rapport de dépendance, Thio transpire l’odeur de la politique à cent lieues. « Ma langue maternelle, martèle-t-il, c’est la politique ! »
Politique et football, confie-t-il, forment un binôme qui fonde sa vraie passion. Mais avant même que d’achever cette confidence, il s’empresse d’ajouter, la mort dans l’âme : « Cependant, à vrai dire, j’ai perdu la flamme, parce que outré par l’agitation particulièrement malsaine de toute une meute de vendeurs d’illusions, de récupérateurs, et surtout de ces militants de la 25ème heure, pour ce qui concerne la chose politique.
Dans le feu des confidences, Thio n’a pu s’empêcher de décliner quelques grandes lignes de sa philosophie de vie :"Je vais vous dire : moi, ente la richesse et la liberté, je choisis la liberté, et ça, tous mes amis le savent… »
Et surtout, n’allez pas vous laisser piéger par cette agitation juvénile qui lui donne les allures d’un volcan  irascible : « Moi, renseigne-t-il, contrairement aux apparences, je suis un homme paisible. »
 Bourlingueur de classe exceptionnelle, Thio a atteint une de ces maturités rares qui permet de s’accommoder de tout, de rêver sur les mystères des cités fulgurantes assis sur une racine de bruyère, et de nous imposer sa philosophie comme ce divin Molière qui fit boire à tant de générations d’ignorants l’eau si limpide de sa fontaine de mots !


Mamadou Ndiaye, journaliste d'investigations, Dirpub dakarposte.com
   njaydakarposte@gmail.com

 



Inscription à la newsletter






Vidéos & images