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Dakar bombardée : Le récit d'une journée de guerre

Rédigé par Dakarposte le Mercredi 21 Juin 2017 à 07:31

L’écrivain Moustapha Ndéné Ndiaye, dans son deuxième roman historique Un Indigène à Gorée, dont le premier tome La Chute des dieux paru à Fama Editions, retrace de manière pathétique ces journées guerrières où Dakar et Gorée vont connaître les affres de la 2eme guerre. Extrait…


…..On aurait dit des sauterelles géantes en regardant le ciel. Les monstres détraqués qui s’y déployaient auraient pour objectif de
massacrer la  race humaine. Soucieux, les oiseaux aquatiques s’étaient  enfuis à tire d’ailes. Ainsi comprenait-on qu’au lendemain de l’échec de De Gaulle et compagnie, la bataille était loin d’être terminée. Le ciel de Gorée s’était assombri. Il avait été soudainement rempli de bruits de moteur assourdissants. Ça grondait dans l’horizon comme un orage. Le vacarme infernal venait de Dakar.
Sur la grande voie, les hommes, des Blancs comme des Noirs, couraient. Ils levaient la tête pour scruter le ciel devenu hostile. À leur grand malheur, ils découvraient un spectacle de fin de monde. Ce n’était plus un vol de nuées. Davantage un jour tranquille d’une île où la houle jouait de sa musique  presque enchanteresse. De gros avions lâchaient leurs bombes après avoir torpillé la grande ville. À peine haut sur le ciel, les engins volants faisaient un passage terrible. Ils offraient le salut de la mort. Sauterelles monstrueuses et
impitoyables, elles planaient, vrombissaient et, de leurs flancs d’acier, chiaient des bombes, en quête de destruction de vies humaines
ou de bâtiments. Maîtres d’un ciel envahi, elles ralentissaient pour mieux lâcher leurs déchets assassins, traquant des objectifs faciles,
sans risque de prendre un coup d’une Dca surprise et incapable de répondre à une attaque aussi cruelle. On y cherchait des hommes blancs, on y tuerait que des Noirs. C’était de la part de Churchill. Mais qui pouvait espérer mieux de cet homme encore debout ? Il ne promettait à son propre peuple que « des larmes et du sang » ! Les lendemains de l’humiliation de De Gaulle seraient infernaux. Contraintes au repli et à l’humiliation devant la ténacité des hommes et des navires du gouverneur général, les Forces Alliées prenaient leur revanche. Surprise par les bombardements, alors qu’elle était perchée sur les hauteurs de l’île, Amalia avait tout vu : Gorée, telle une proie offerte, se tordait sous les bombes après Dakar. La capitale de l’Aof était déjà à feu et à sang.
Tardivement, les coups de cloches d’alerte s’élevèrent, déchirant toute la petite bande de terre. C’était le sauve-qui-peut. Si c’était
encore possible devant des monstres pareils. De gros obus continuaient de tomber en fracassant les murs. Jamais de mémoire d’Africains, on n’avait vu pareil. Il y avait eu les guerres coloniales mais cette fois-ci, les Blancs sortaient leurs techniques de la mort massive. En veux-tu, en voilà ! Mieux valait être un rat qu’une cible debout quand la France du refus s’attaquait aux collaborateurs.
En fait, c’était les Anglais qui se vengeaient. Ils étaient montés seuls en première ligne. Churchill, le premier ministre lui-même, un
gros bonhomme au ventre bedonnant qui portait chapeau et fumait de gros cigares, s’était impliqué, comme le jour lorsque Disraeli, un homme du même rang, un peu plus d’un demi siècle auparavant, avait proclamé que l’Afrique était à prendre. Churchill avait dit hier soir à l’amiral Cunningham, le chef de la marine anglaise, de ne point laisser le reste de la flotte française entre les mains des vichystes. Les collaborateurs seraient capables de la faire tomber entre les mains des Allemands. S’emparer de la flotte française, sinon la détruire ou au minimum la neutraliser. Tel était l’objectif. Innocente jeune fille perdue au milieu d’une guerre qui exportait son lot de malheurs en terre africaine, Amalia courait toujours. Dans son élan, elle vit dans le lointain l’impact d’un obus qui s’abattait
créant des gerbes de feu. Les gens sortaient et criaient de désespoir. Un autre impact se fit, pas loin de chez elle. La fille décupla ses
pas de course, les yeux vers le ciel, sans une seule fois se soucier désormais que la mort venait de là. Mais pour sa survie, les avions
étaient déjà passés. Jamais de l’histoire de Gorée, tricentenaire déjà, on avait vu un tel carnage. C’était bien fini l’époque de l’usage du petit canon, des mousquetons et des batailles de corsaires aux flancs des côtes, avec des laptots à l’armement sommaire. Depuis l’invention de l’avion, des chars et de la mitrailleuse, la guerre avait pris une face plus hideuse. Faisant fi de la mort, elle était paniquée par la bombe qui n’était pas tombée loin de chez elle. Par un réflexe de jeune fille naïve, elle pensa qu’on ne pouvait pas bombarder de paisibles gens comme elle et sa tante. Mais qu’est-ce que les Blancs s’interdiraient en territoire conquis ? Quelques minutes après, en arrivant sur les lieux, elle dut se rendre compte que la toiture n’existait plus, emportée par le souffle, puissant d’un obus. Arrachées et brisées, les tuiles s’éparpillaient partout comme un panier de tomates ratatinées. Des hommes étaient déjà là. Ils s’affairaient à sortir quelqu’un des décombres : mademoiselle Louise. Amalia se jeta à l’intérieur, se fraya un chemin entre les gaillards
qui soutenaient à bras le corps sa tante toute poussiéreuse. Elle était sortie de la cuisine. Les sauveteurs finirent par déposer
délicatement son corps sur le balcon d’où elle avait fui quand elle avait aperçu les avions de guerre. À demi évanouie, elle délirait.
« Non, la France ne peut pas nous faire ça. Nous n’avons fait que l’aimer et elle nous bombarde. » La France ou l’Angleterre, peu importe. C’étaient toujours des Blancs. Et ils avaient fait plus que bombarder. La moitié de l’île avait croulé, particulièrement le bâtiment abandonné de la vieille imprimerie du gouvernement transférée à Dakar. À vue d’œil, les pans de murs effondrés, les tuiles arrachées et les charpentes de fer dénudées offraient le spectacle terrifiant de la guerre et de ses affres. Surtout sur ceux qui n’avaient rien demandé, pris aucune position et n’avaient défendu aucun territoire. Fût-il le leur ! Dire que les avions n’avaient fait que passer…


Moustapha Ndéné Ndiaye
Un Indigène à Gorée
Tome 1 La Chute des dieux
©Fama Editions 2016



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