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[Entretien] Moubarack Lô : “Un accord avec le FMI est indispensable pour le Sénégal”

Rédigé par Dakarposte le Mardi 1 Juillet 2025 à 17:59 modifié le Mardi 1 Juillet 2025 - 18:01

Alors que le Sénégal fait face à une chute de ses obligations en dollars sur les marchés internationaux en 2025, et avec un ratio de dette publique approchant les 100 % du PIB – aggravé par un rapport de Barclays situant ce taux à 119 % en 2024 – l’inquiétude grandit parmi les experts économiques. Dans cet entretien accordé à Seneweb ce 1er juillet, Moubarack Lô, analyste économique, décrypte les enjeux et propose des pistes pour surmonter cette crise.


[Entretien] Moubarack Lô : “Un accord avec le FMI est indispensable pour le Sénégal”
M. Lô, les obligations du Sénégal en dollars ont chuté sur les marchés internationaux. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour le Sénégal et quel impact cette chute pourrait-elle avoir sur l’économie quotidienne des citoyens sénégalais ?

Cela indique que les titres du Sénégal ont perdu de leur attractivité, ce qui signifie qu’un investisseur souhaitant les céder rencontrerait quelques difficultés pour les revendre. En second lieu, cette situation est susceptible d’entraîner une hausse des taux d’intérêt. Si, à l’avenir, le Sénégal envisageait de se tourner vers les marchés privés internationaux pour émettre des Eurobonds ou des Dollarbonds, cela deviendrait nettement plus complexe en termes de coûts d’emprunt, les investisseurs exigeant une prime de risque plus élevée. Ainsi, cette baisse de la valeur des obligations du Sénégal libellées en dollars engendre une contrainte accrue sur la capacité du pays à s’endetter sur les marchés internationaux tout en obtenant des taux d’intérêt avantageux. Cela pourrait également augmenter le service de la dette ; par exemple, si le pays devait à nouveau emprunter sur ces marchés, les remboursements seraient plus lourds, réduisant ainsi les ressources disponibles pour des subventions ou des programmes sociaux tels que l’électrification rurale, l’accès à l’eau potable, ou la construction d’écoles et de centres de santé, sauf si des alternatives de financement sont identifiées pour y faire face.

« Selon les données de Barclays, le Sénégal serait actuellement le pays le plus endetté d’Afrique, mais il est possible que, si d’autres nations adoptaient des procédures transparentes similaires à celles retenues par le Sénégal, des niveaux d’endettement encore plus élevés soient révélés en Afrique »

Le rapport de Barclays indique que la dette publique a atteint 119 % du PIB en 2024. Pouvez-vous nous expliquer ce que représente ce chiffre et pourquoi il inquiète les investisseurs étrangers ?

Une dette représentant 119 % du produit intérieur brut (PIB) du Sénégal signifie que le pays est endetté à un niveau supérieur à l’ensemble de ses revenus annuels. On peut comparer cela à un individu disposant de 100 000 francs CFA de revenus mais portant une dette de 119 000 francs CFA, soit un excédent de 19 000 francs CFA en dettes. Bien que cette dette ne soit pas remboursée d’un seul coup et soit étalée sur des échéances définies, les créanciers du Sénégal peuvent légitimement s’interroger sur la capacité du pays à honorer ses engagements lorsque ces échéances arriveront. Selon les données de Barclays, le Sénégal serait actuellement le pays le plus endetté d’Afrique, mais il est possible que, si d’autres nations adoptaient des procédures transparentes similaires à celles retenues par le Sénégal, des niveaux d’endettement encore plus élevés soient révélés en Afrique. Lorsqu’un pays affiche un taux d’endettement élevé, cela ne préoccupe pas forcément les investisseurs s’il s’agit d’une économie développée, car ces pays, du fait de leur crédibilité, peuvent émettre facilement de nouvelles dettes pour rembourser les anciennes. En revanche, dans le cas d’un pays en développement, les investisseurs se demandent si l’État sera en mesure de générer des revenus internes et/ou de lever de nouveaux fonds pour couvrir les échéances passées, surtout lorsque ce pays est soumis aux normes de l’UEMOA, qui limitent la dette à 70 % du PIB, ainsi qu’aux conditionnalités du FMI exigeant une dette soutenable pour les pays sous programme. C’est précisément cette situation que traverse le Sénégal aujourd’hui.

Comment les révélations sur la falsification des comptes publics sous l’ancien régime contribuent-elles à cette crise et que doivent faire les nouvelles autorités pour restaurer la confiance ?

Les dynamiques des marchés financiers reposent largement sur ce qu’on appelle les « news » (les informations nouvelles), qu’elles soient positives ou négatives, provoquant des réactions immédiates et parfois des sur-réactions (« overshooting ») qui ne se stabilisent que progressivement. Depuis janvier 2025, une série de « news » a marqué l’actualité au Sénégal. Lorsque le gouvernement actuel a révélé que les chiffres légués par l’ancien régime étaient erronés, les obligations du Sénégal en ont immédiatement souffert. Par la suite, les efforts déployés pour instaurer la transparence et réorganiser les finances publiques ont permis une légère amélioration.

« Un pays dans une telle position ne peut rester inactif »


Cependant, le retard dans la conclusion d’un programme avec le FMI, ainsi que les discours officiels reconnaissant la gravité de la situation, ont de nouveau influencé négativement la perception des investisseurs quant au risque associé au Sénégal. Le gouvernement actuel a hérité d’une situation complexe : une alternance politique implique la prise en charge d’actifs et de passifs, la dette faisant partie de ces derniers. Quoi qu’il en soit, un pays dans une telle position ne peut rester inactif. Il est inenvisageable de déclarer ne pas vouloir gérer cette crise sous prétexte de ne pas en être l’auteur. Le gouvernement est tenu de prendre des mesures et de proposer des solutions. Cet exercice s’impose aujourd’hui. Des efforts ont certes été entrepris dans le cadre de la loi de finances rectificative, mais ils doivent être amplifiés pour sortir de cette impasse.

« Le concept de « moins d’État, mieux d’État », popularisé par l’ancien président Abdou Diouf, doit guider les actions à tous les niveaux »


À l’avenir, le Sénégal devra redoubler d’efforts pour innover dans la gestion de sa dette et de ses finances publiques en général. Conscient des dangers liés à un défaut de paiement, le pays doit, hic et nunc, explorer des options telles que le rééchelonnement et le rachat de dettes, une mobilisation plus forte de ressources en ciblant notamment la réduction des exonérations fiscales, la maîtrise des optimisations fiscales mises en œuvre par les multinationales, l’accélération de la politique d’élargissement multiforme de la base fiscale, une révision drastique des subventions énergétiques, et une rationalisation accrue des dépenses publiques. Au-delà de la simple réduction des charges, cette rationalisation implique une meilleure sélection des projets, un contrôle strict des coûts unitaires, un audit organisationnel de l’État, et un recours accru aux partenariats public-privé, voire à des privatisations ciblées si nécessaire, tout en assurant une haute qualité des services rendus aux citoyens, aux usagers et aux clients du service public. Aujourd’hui, plus que jamais, le concept de « moins d’État, mieux d’État », popularisé par l’ancien président Abdou Diouf, doit guider les actions à tous les niveaux.

« Le Sénégal dispose de pétrole et de gaz, mais dans l’horizon du court et du moyen terme, ces ressources ne suffiront pas à sortir le pays de sa situation difficile »

Les négociations avec le FMI semblent bloquées. Pourquoi est-ce important pour le Sénégal, et quelles pourraient être les conséquences si un accord n’est pas trouvé rapidement ?

Dans le contexte actuel, le Sénégal ne peut se permettre de se passer d’un accord avec le FMI, car depuis le début de l’année 2025, les entrées de ressources extérieures, qu’il s’agisse de dons ou de prêts, ont été très limitées. Un accord avec le FMI est indispensable, car sans lui, de nombreux partenaires hésiteront à s’engager avec le Sénégal, alors que le pays a un besoin urgent de liquidités fraîches pour répondre à ses besoins budgétaires. Cela inclut la mise en œuvre des grands chantiers de la Vision 2050, mais aussi la prise en charge des dépenses courantes à travers un appui budgétaire.

Malgré cette crise, le Sénégal dispose de ressources pétrolières et gazières prometteuses. Comment ces atouts pourraient-ils aider à surmonter les défis actuels de la dette et à quoi le public doit-il s’attendre à long terme ?

Le Sénégal dispose de pétrole et de gaz, mais dans l’horizon du court et du moyen terme, ces ressources ne suffiront pas à sortir le pays de sa situation difficile. Cependant, à long terme, elles offriront des perspectives, non seulement de manière directe grâce à la contribution des recettes pétrolières et gazières aux finances publiques, mais aussi de façon indirecte en soutenant la diversification de l’économie. Cette diversification pourrait être impulsée en développant des chaînes de valeur autour du pétrole et du gaz, tout en utilisant ces ressources pour financer des investissements dans d’autres secteurs comme l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’industrie manufacturière ou les services à haute valeur ajoutée. Par conséquent, il sera probablement nécessaire d’élargir la gamme de solutions et d’intégrer des approches dépassant les ressources du pétrole et du gaz pour les deux à trois prochaines années. C’est une condition sine qua non pour réussir la transformation structurelle et systémique promue par le gouvernement.










Entretien réalisé par Adama NDIAYE (SENEWEB)

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