
Entre l’annonce et la prise de décision, il y a comme une éternité. C’est le 24 novembre dernier, peu avant de quitter le Sénégal pour la République démocratique du Congo (Rdc), où il devait préparer la transition à la présidence de l’Union africaine (Ua) avec le Président Félix Tshisekedi, que Macky Sall a informé le Conseil des ministres de sa volonté de restaurer la fonction de Premier ministre. Introduit par le gouvernement, le projet de révision constitutionnelle n°38/2021 est adopté en procédure d’urgence par l’Assemblée nationale, le 10 décembre. Le poste de Premier ministre est donc de retour au Sénégal, vingt mois après sa suppression. Il ne reste alors plus qu’à trouver le nom de celui qui renfilera le costume. Dans un entretien avec Rfi et France24, le chef de l’Etat assure que la nomination du futur Pm se fera après les élections locales du 23 janvier 2022. Dans la foulée, le Président Macky Sall évoque sa prochaine présidence de l’Union africaine (Ua) pour justifier sa décision. «Je ne peux m’occuper du Sénégal au quotidien. Or, il faut s’occuper du Sénégal au quotidien, il faut donc un Premier ministre pour le faire. (…) J’ai déjà choisi certainement dans la tête, mais tant que le décret n’est pas signé, rien n’est fait.» Les élections locales passées, le Président Sall se donne le temps de les analyser. Mercredi 02 février, il fait ses adieux au gouvernement lors du Conseil des ministres, avant de les informer de la nomination du Premier ministre, dès son retour de voyage (il a été à Accra puis à Addis-Abeba et devait se rendre au Comores en visite officielle le mercredi 09 février). Entre-temps, le Sénégal remporte la Coupe d’Afrique des Nations (Can) le dimanche 06 février, le Président Sall annule sa visite au Comores et rentre le lendemain, lundi. Aujourd’hui, une semaine après son retour au Sénégal, l’attente est prolongée. Même après son installation officielle à la Présidence de l’Ua, toujours pas de Premier ministre. Le Président Macky Sall temporise et se laisse du temps pour trancher. Jusqu’à quand ? La question reste pour le moment entière. Surtout que le chef de l’Etat semble être aidé dans son atermoiement par la Constitution. En effet, selon le Constitutionnaliste, Abdoulaye Dièye, «nulle part dans la Constitution, il n’est prévu un délai de nomination du Premier ministre.»
«Il y a une lacune regrettable de la Constitution qui ne fixe pas de délai pour la nomination du Premier ministre»
Une défaillance juridique, selon l’Enseignant-Chercheur en droit public à l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad), Ngouda Mboup. «Il y a une lacune regrettable de la Constitution, c’est qu’elle ne fixe pas de délai pour la nomination du Premier ministre, mais par contre, le Premier ministre doit être nommé impérativement parce que si le Président ne le nomme pas, le gouvernement ne fonctionne pas et si le gouvernement ne fonctionne pas, ce serait une atteinte au fonctionnement régulier d’une institution.» Une faille qu’il va falloir corriger puisque d’après Ngouda Mboup, «si le Président a la latitude d’attendre deux mois, il a la latitude d’attendre deux ans. Ce n’est pas en soi en phase avec l’esprit général de la Constitution et les principes généraux du droit. Le président de la République est tenu de nommer le Premier ministre sans délai, même si la Constitution ne fixe pas de délai. C’est un vide juridique.» Un vide qui retarde donc la nomination du Premier ministre et qui soulève la question de la légalité ou pas du gouvernement en place. Ngouda Mboup : «La loi a été adoptée, votée et promulguée par le président de la République. Une fois promulguée, la loi est d’effet immédiat. Le gouvernement actuel est considéré comme démissionnaire depuis le 22 décembre parce que la loi a été promulguée à cette date. Le gouvernement en place ne fait qu’expédier les affaires courantes. En principe, le Sénégal n’a plus de gouvernement. Le Premier ministre est à la tête du gouvernement, s’il n’est pas à la tête d’une telle institution, ça signifie que l’institution ne fonctionne pas et il s’agit d’une atteinte au fonctionnement d’une institution telle que précisée par l’article 52 et l’article 6 de la Constitution.»
«Le gouvernement peut expédier les affaires courantes, mais les ministres n’ont plus le droit de prendre des actes graves»
Lacune ou atteinte au fonctionnement d’une institution, autant de termes qui, selon toujours Ngouda Mboup, font perdre au gouvernement certaines prérogatives. «Le gouvernement peut expédier les affaires courantes, mais ils (les ministres, Ndlr) n’ont plus le droit de prendre des actes graves parce qu’ils sont considérés comme démissionnaires, insiste-t-il. C’est là que c’est dangereux parce qu’en droit constitutionnel et en droit administratif, un gouvernement démissionnaire ne peut faire qu’expédier les affaires courantes, c’est-à-dire venir coordonner l’administration, les services.» Que signifient actes graves ? «les actes graves, ce sont les décisions importantes qui engagent le ministère, l’Etat ou le gouvernement. Par exemple, la modification du budget du ministère ; le ministre n’a plus de légitimité pour aller devant l’Assemblée nationale pour le faire sauf en cas de force majeure dans l’expédition des affaires courantes. Les gens pensent que c’est une chose banale, alors que ce n’est pas le cas parce que les institutions, leur continuité est impérative et importante. Il y a une discontinuité gouvernementale aujourd’hui et il y a une discontinuité administrative puisque le Premier ministre est le chef du gouvernement, le Premier ministre est le chef de l’administration.» Le gouvernement considéré comme démissionnaire a donc des limites, selon les constitutionnalistes.
«S’abstenir de prendre certaines mesures qui ont des incidences surtout sur le plan financier»
Pour les spécialistes de l’administration publique, il s’agit d’une règle de bonne gouvernance. Abdoul Aziz Tall, expert en organisation et méthodes, s’en explique : «Lorsqu’il y a des élections qui se déroulent, si les résultats ne sont pas encore connus, en principe, on doit s’abstenir de prendre certaines mesures qui ont des incidences surtout sur le plan financier ou même sur d’autres plans stratégiques.» Dans les ministères, l’on semble avoir compris la leçon. «Dans presque tous les ministères, que ce soit les directions techniques, la Direction de l'Administration générale et de l'Equipement (Dage) ou le Secrétaire de l'administration générale et de l'équipement, ils ont déjà fait le point sur l’exécution budgétaire, le point sur les investissements et même sur les immobilisations et remis les rapports aux Secrétaires généraux qui centralisent tout, même les documents confidentiels. Il n’y a plus d’engagement, si ce n’est le paiement de salaires, la dotation en carburant et les lignes téléphoniques», informent plusieurs agents de différents ministères. Au ministère de la Justice, par exemple, des instructions fermes ont été données pour préparer les passations de service. Dans une note circulaire interne en date du 28 janvier 2022, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Me Malick Sall a instruit ses collaborateurs de préparer tous les dossiers. «Dans la perspective de la nomination du Premier ministre et de la formation d’un nouveau gouvernement, je vous demande, conformément à la tradition républicaine, de préparer les dossiers relevant de vos services, en vue d’une éventuelle passation de service. Le document devra être envoyé sous format électronique au plus tard le vendredi 4 février 2022», lit-on dans la circulaire. En attendant que le chef de l’Etat, Macky Sall, signe le décret de nomination du Premier ministre et la formation du gouvernement.
L'Obs
«Il y a une lacune regrettable de la Constitution qui ne fixe pas de délai pour la nomination du Premier ministre»
Une défaillance juridique, selon l’Enseignant-Chercheur en droit public à l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad), Ngouda Mboup. «Il y a une lacune regrettable de la Constitution, c’est qu’elle ne fixe pas de délai pour la nomination du Premier ministre, mais par contre, le Premier ministre doit être nommé impérativement parce que si le Président ne le nomme pas, le gouvernement ne fonctionne pas et si le gouvernement ne fonctionne pas, ce serait une atteinte au fonctionnement régulier d’une institution.» Une faille qu’il va falloir corriger puisque d’après Ngouda Mboup, «si le Président a la latitude d’attendre deux mois, il a la latitude d’attendre deux ans. Ce n’est pas en soi en phase avec l’esprit général de la Constitution et les principes généraux du droit. Le président de la République est tenu de nommer le Premier ministre sans délai, même si la Constitution ne fixe pas de délai. C’est un vide juridique.» Un vide qui retarde donc la nomination du Premier ministre et qui soulève la question de la légalité ou pas du gouvernement en place. Ngouda Mboup : «La loi a été adoptée, votée et promulguée par le président de la République. Une fois promulguée, la loi est d’effet immédiat. Le gouvernement actuel est considéré comme démissionnaire depuis le 22 décembre parce que la loi a été promulguée à cette date. Le gouvernement en place ne fait qu’expédier les affaires courantes. En principe, le Sénégal n’a plus de gouvernement. Le Premier ministre est à la tête du gouvernement, s’il n’est pas à la tête d’une telle institution, ça signifie que l’institution ne fonctionne pas et il s’agit d’une atteinte au fonctionnement d’une institution telle que précisée par l’article 52 et l’article 6 de la Constitution.»
«Le gouvernement peut expédier les affaires courantes, mais les ministres n’ont plus le droit de prendre des actes graves»
Lacune ou atteinte au fonctionnement d’une institution, autant de termes qui, selon toujours Ngouda Mboup, font perdre au gouvernement certaines prérogatives. «Le gouvernement peut expédier les affaires courantes, mais ils (les ministres, Ndlr) n’ont plus le droit de prendre des actes graves parce qu’ils sont considérés comme démissionnaires, insiste-t-il. C’est là que c’est dangereux parce qu’en droit constitutionnel et en droit administratif, un gouvernement démissionnaire ne peut faire qu’expédier les affaires courantes, c’est-à-dire venir coordonner l’administration, les services.» Que signifient actes graves ? «les actes graves, ce sont les décisions importantes qui engagent le ministère, l’Etat ou le gouvernement. Par exemple, la modification du budget du ministère ; le ministre n’a plus de légitimité pour aller devant l’Assemblée nationale pour le faire sauf en cas de force majeure dans l’expédition des affaires courantes. Les gens pensent que c’est une chose banale, alors que ce n’est pas le cas parce que les institutions, leur continuité est impérative et importante. Il y a une discontinuité gouvernementale aujourd’hui et il y a une discontinuité administrative puisque le Premier ministre est le chef du gouvernement, le Premier ministre est le chef de l’administration.» Le gouvernement considéré comme démissionnaire a donc des limites, selon les constitutionnalistes.
«S’abstenir de prendre certaines mesures qui ont des incidences surtout sur le plan financier»
Pour les spécialistes de l’administration publique, il s’agit d’une règle de bonne gouvernance. Abdoul Aziz Tall, expert en organisation et méthodes, s’en explique : «Lorsqu’il y a des élections qui se déroulent, si les résultats ne sont pas encore connus, en principe, on doit s’abstenir de prendre certaines mesures qui ont des incidences surtout sur le plan financier ou même sur d’autres plans stratégiques.» Dans les ministères, l’on semble avoir compris la leçon. «Dans presque tous les ministères, que ce soit les directions techniques, la Direction de l'Administration générale et de l'Equipement (Dage) ou le Secrétaire de l'administration générale et de l'équipement, ils ont déjà fait le point sur l’exécution budgétaire, le point sur les investissements et même sur les immobilisations et remis les rapports aux Secrétaires généraux qui centralisent tout, même les documents confidentiels. Il n’y a plus d’engagement, si ce n’est le paiement de salaires, la dotation en carburant et les lignes téléphoniques», informent plusieurs agents de différents ministères. Au ministère de la Justice, par exemple, des instructions fermes ont été données pour préparer les passations de service. Dans une note circulaire interne en date du 28 janvier 2022, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Me Malick Sall a instruit ses collaborateurs de préparer tous les dossiers. «Dans la perspective de la nomination du Premier ministre et de la formation d’un nouveau gouvernement, je vous demande, conformément à la tradition républicaine, de préparer les dossiers relevant de vos services, en vue d’une éventuelle passation de service. Le document devra être envoyé sous format électronique au plus tard le vendredi 4 février 2022», lit-on dans la circulaire. En attendant que le chef de l’Etat, Macky Sall, signe le décret de nomination du Premier ministre et la formation du gouvernement.
L'Obs