Le droit de grâce fait partie des attributions conférées au Président de République par la constitution. En fait ce droit à toujours fait partie des attributions du chef de l’Etat qu’il s’agisse d’un régime démocratique ou autocratique.
La grâce est une prérogative constitutionnelle du chef de l'Etat. L'article 47 de la Constitution du Sénégal dispose : " le président de la République a le droit de faire grâce ". La grâce dispense totalement ou partiellement de l’exécution d’une peine. En revanche, elle n’efface pas le casier judiciaire du condamné, ni ne remet en cause le jugement qui demeure, la grâce ne porte que sur les effets du jugement. La grâce est donc différente de l’amnistie qui a pour effet d’effacer la condamnation.
Il est de tradition au Sénégal que le Président de République conformément à l’article 47 de la Constitution en dehors de la grâce à titre individuel d’accorder des grâces collectives les veilles de fête de notre indépendance ou de veille de fêtes de Tabaski. C’est ainsi que la dernière en date à la veille du 04 avril 2019 a permis à 1066 personnes de retrouver la liberté et 426 personnes condamnées pour des infractions diverses et incarcérées dans différents établissements pénitentiaires du Sénégal, ont bénéficié de la grâce présidentielle à l’occasion de la fête de Tabaski 2019. .
Cependant les dernieres actualités sur les grâces présidentielles collectives ont soulevé beaucoup d’interrogations et nous amènent à réfléchir sur l’opportunité des grâces collectives. En effet, en dehors de l’affaire Amadou Woury Diallo qui a fait couler beaucoup d’encre, neuf (9) détenus condamnés par le tribunal de grande instance de Diourbel en son audience du 02 mars 2018 ont aussi bénéficié de la grâce présidentielle de la Tabaski 2018 alors que la condamnation n’était pas définitive. Il a été aussi signalé récemment que les malfaiteurs qui ont participé au braquage de Kaolack ayant entrainé des fusillades avec les policiers auraient bénéficié d’une grâce présidentielle. L’affaire de la grâce présidentielle fait aussi l’objet de débat dans l’affaire ‘Khalifa Sall’concernant sa libération par un décret de grâce du Président de la République.
On constate donc beaucoup d’erreurs d’inclusion dans les bénéficiaires de la grâce collectives qui peuvent être volontaires ou involontaires mais irréversibles car non publié au Journal officiel, le décret présidentiel n’est pas susceptible d’être discuté au contentieux. La jurisprudence administrative est fixée depuis longtemps : « Les décisions que le Chef de l’Etat est appelé à prendre dans l’exercice du droit de grâce dont dépend l’exécution des peines infligées par les juridictions de l’ordre judiciaire, ne peuvent pas être regardées comme des actes émanant d’une autorité administrative » (CE, 8 novembre 1961, Société d’édition et d’impression du centre).
Certes la finalité humanitaire et sociale de la grâce justifie sans doute sa persistance car l’une des raisons invoquées pour la grâce c’est de donner une seconde chance à une catégorie de citoyens momentanément en conflit avec la loi. En dehors de cet aspect humanitaire la grâce collective fait aussi partie de la politique carcérale car étant devenu un moyen de désengorger les prisons en palliant à l’augmentation de la population carcérale.
Cependant l’existence du droit de grâce pose problème en tant que tel, car la grâce présidentielle heurte le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs en permettant à l’une des branches du pouvoir exécutif de défaire les conséquences d'une décision du juge pénal . Même si de très nombreux textes constitutionnels des grandes démocraties par tradition historique (évidemment les Monarchies mais pas seulement: les Etats-Unis) accordent une telle prérogative au chef de l'Etat, le pouvoir de grâce octroyé par le chef de l’Etat reste le plus souvent une mesure individuelle.
Ainsi, la disparition des grâces collectives, fondées sur une logique quantitative, peut apparaître comme une condition de la préservation du droit de grâce individuel, redéfini comme un recours personnalisé à la clémence souveraine. La tradition des grâces ne peut pas tenir lieu de mécanisme de régulation de l’engorgement des lieux de détention et l’abandon des grâces collectives pourrait d’ailleurs contraindre les autorités publiques à mettre en œuvre une politique permettant de remédier à la surpopulation carcérale, soit par la construction d’établissements supplémentaires, soit par l’approfondissement de la politique d’aménagement des peines.
En effet contrairement aux grâces collectives qui sont décidées systématiquement, à des dates fixes, et sans considération des dossiers individuels, la grâce individuelle est encadrée car elle est instruite par le Parquet et le dossier étudié par la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces du ministère de la Justice. Si le recours concerne l'exécution d'une peine capitale, le dossier est transmis au Conseil Supérieur de la Magistrature. Le Conseil émet un avis mais, c'est le chef de l'Etat qui prend souverainement la décision.
En plus des critiques institutionnelles par rapport aux grâces collectives, les remises de peines collectives semblent avoir des effets négatifs sur la récidive car la plupart des personnes ayant bénéficié de la grâce finissent par récidiver. La peine comme norme fondatrice et inviolable perd ainsi de sa valeur dans la mesure où ses effets sont escamotés, dissous à travers ce genre de pratiques. Une duplicité tacite s’insinue entre le crime et l’institution chargée de le circonscrire car à l’approche des grâces collectives les délinquants en fins stratèges se mettent à programmer à ajuster et à anticiper leurs comportements délictueux pour bénéficier de la grâce.
Les grâces présidentielles collectives font office de soupape de sécurité face à la surpopulation carcérale et les affres qu’elle engendre pour les détenus eux-mêmes et surtout pour l’administration pénitentiaire qui aura du mal à gérer d’énormes tensions internes parfois insurmontables et qui compromettent de facto l’individualisation de la peine. Néanmoins aucune fin ne peut justifier cette politique qui consiste à relâcher des centaines de délinquants dont la dangerosité constitue une menace pour la société.
Le droit de grâce est régulièrement dénoncé comme la survivance d’une période révolue malgré sa persistance dans les régimes républicains. On peut donc légitimement s’interroger sur son maintien, mais il est cependant important de maintenir le droit de grâce individuel pour certaines situations qui peuvent devenir une nécessité pour des raisons humanitaires, sociales et politiques.
Afin de mettre la décision présidentielle à l’abri de la critique et des soupçons de partialité et de faire taire les critiques, le Sénégal devrait abandonner la grâce présidentielle collective et maintenir le droit de grâce à titre individuel à l’instar de la France qui depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, prévoit désormais à l’article 17 de sa Constitution que « le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel » ce qui ne permet plus des grâces collectives.
Sada Diallo, Juriste
Président du Mouvement Sicap Debout
Il est de tradition au Sénégal que le Président de République conformément à l’article 47 de la Constitution en dehors de la grâce à titre individuel d’accorder des grâces collectives les veilles de fête de notre indépendance ou de veille de fêtes de Tabaski. C’est ainsi que la dernière en date à la veille du 04 avril 2019 a permis à 1066 personnes de retrouver la liberté et 426 personnes condamnées pour des infractions diverses et incarcérées dans différents établissements pénitentiaires du Sénégal, ont bénéficié de la grâce présidentielle à l’occasion de la fête de Tabaski 2019. .
Cependant les dernieres actualités sur les grâces présidentielles collectives ont soulevé beaucoup d’interrogations et nous amènent à réfléchir sur l’opportunité des grâces collectives. En effet, en dehors de l’affaire Amadou Woury Diallo qui a fait couler beaucoup d’encre, neuf (9) détenus condamnés par le tribunal de grande instance de Diourbel en son audience du 02 mars 2018 ont aussi bénéficié de la grâce présidentielle de la Tabaski 2018 alors que la condamnation n’était pas définitive. Il a été aussi signalé récemment que les malfaiteurs qui ont participé au braquage de Kaolack ayant entrainé des fusillades avec les policiers auraient bénéficié d’une grâce présidentielle. L’affaire de la grâce présidentielle fait aussi l’objet de débat dans l’affaire ‘Khalifa Sall’concernant sa libération par un décret de grâce du Président de la République.
On constate donc beaucoup d’erreurs d’inclusion dans les bénéficiaires de la grâce collectives qui peuvent être volontaires ou involontaires mais irréversibles car non publié au Journal officiel, le décret présidentiel n’est pas susceptible d’être discuté au contentieux. La jurisprudence administrative est fixée depuis longtemps : « Les décisions que le Chef de l’Etat est appelé à prendre dans l’exercice du droit de grâce dont dépend l’exécution des peines infligées par les juridictions de l’ordre judiciaire, ne peuvent pas être regardées comme des actes émanant d’une autorité administrative » (CE, 8 novembre 1961, Société d’édition et d’impression du centre).
Certes la finalité humanitaire et sociale de la grâce justifie sans doute sa persistance car l’une des raisons invoquées pour la grâce c’est de donner une seconde chance à une catégorie de citoyens momentanément en conflit avec la loi. En dehors de cet aspect humanitaire la grâce collective fait aussi partie de la politique carcérale car étant devenu un moyen de désengorger les prisons en palliant à l’augmentation de la population carcérale.
Cependant l’existence du droit de grâce pose problème en tant que tel, car la grâce présidentielle heurte le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs en permettant à l’une des branches du pouvoir exécutif de défaire les conséquences d'une décision du juge pénal . Même si de très nombreux textes constitutionnels des grandes démocraties par tradition historique (évidemment les Monarchies mais pas seulement: les Etats-Unis) accordent une telle prérogative au chef de l'Etat, le pouvoir de grâce octroyé par le chef de l’Etat reste le plus souvent une mesure individuelle.
Ainsi, la disparition des grâces collectives, fondées sur une logique quantitative, peut apparaître comme une condition de la préservation du droit de grâce individuel, redéfini comme un recours personnalisé à la clémence souveraine. La tradition des grâces ne peut pas tenir lieu de mécanisme de régulation de l’engorgement des lieux de détention et l’abandon des grâces collectives pourrait d’ailleurs contraindre les autorités publiques à mettre en œuvre une politique permettant de remédier à la surpopulation carcérale, soit par la construction d’établissements supplémentaires, soit par l’approfondissement de la politique d’aménagement des peines.
En effet contrairement aux grâces collectives qui sont décidées systématiquement, à des dates fixes, et sans considération des dossiers individuels, la grâce individuelle est encadrée car elle est instruite par le Parquet et le dossier étudié par la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces du ministère de la Justice. Si le recours concerne l'exécution d'une peine capitale, le dossier est transmis au Conseil Supérieur de la Magistrature. Le Conseil émet un avis mais, c'est le chef de l'Etat qui prend souverainement la décision.
En plus des critiques institutionnelles par rapport aux grâces collectives, les remises de peines collectives semblent avoir des effets négatifs sur la récidive car la plupart des personnes ayant bénéficié de la grâce finissent par récidiver. La peine comme norme fondatrice et inviolable perd ainsi de sa valeur dans la mesure où ses effets sont escamotés, dissous à travers ce genre de pratiques. Une duplicité tacite s’insinue entre le crime et l’institution chargée de le circonscrire car à l’approche des grâces collectives les délinquants en fins stratèges se mettent à programmer à ajuster et à anticiper leurs comportements délictueux pour bénéficier de la grâce.
Les grâces présidentielles collectives font office de soupape de sécurité face à la surpopulation carcérale et les affres qu’elle engendre pour les détenus eux-mêmes et surtout pour l’administration pénitentiaire qui aura du mal à gérer d’énormes tensions internes parfois insurmontables et qui compromettent de facto l’individualisation de la peine. Néanmoins aucune fin ne peut justifier cette politique qui consiste à relâcher des centaines de délinquants dont la dangerosité constitue une menace pour la société.
Le droit de grâce est régulièrement dénoncé comme la survivance d’une période révolue malgré sa persistance dans les régimes républicains. On peut donc légitimement s’interroger sur son maintien, mais il est cependant important de maintenir le droit de grâce individuel pour certaines situations qui peuvent devenir une nécessité pour des raisons humanitaires, sociales et politiques.
Afin de mettre la décision présidentielle à l’abri de la critique et des soupçons de partialité et de faire taire les critiques, le Sénégal devrait abandonner la grâce présidentielle collective et maintenir le droit de grâce à titre individuel à l’instar de la France qui depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, prévoit désormais à l’article 17 de sa Constitution que « le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel » ce qui ne permet plus des grâces collectives.
Sada Diallo, Juriste
Président du Mouvement Sicap Debout