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SERIGNE FALLOU DIENG (CIS) : « TOUBA EST LE VENTRE MOU DE LA PRÉCAUTION NATIONALE »

Rédigé par Dakarposte le Lundi 25 Mai 2020 à 18:32

Le principe de précaution sanitaire est un dogme religieux. C’est un des enseignements que Serigne Fallou Dieng tire de la pandémie du Coronavirus. Dans cet entretien accordé à Emedia.sn, ce petit fils de Serigne Touba, membre du Cercle des intellectuels soufis, est largement revenu sur les enseignements islamiques en période de crise sanitaire. Serigne Fallou Dieng a aussi donné les raisons de la transmission du virus dans la cité religieuse de Touba. 



Quels sont les enseignements islamiques que l’on pourrait tirer de la Covid-19 ?  
 
Dans la culture islamique le principe de précaution sanitaire et préventive est un dogme religieux qui devrait guider les conduites quotidiennes allant du simple geste de se laver ses mains avant de boire et de manger, en passant par le lavage rituel et le souci de la propreté de son corps, de son lieu de vie et de ses habits, jusqu’à l’acte quotidien le plus fondamental de la prière, à savoir faire des ablutions, en lavant ses mains, ses avant-bras, son visage et ses pieds. Cette hygiène de vie, nous accompagne même dans notre façon de manger et de boire, d’assouvir nos besoins les plus naturels. 

L’islam nous enjoint de nous soigner et de nous prémunir en bannissant le prétexte du fatalisme. En effet, la protection de son corps, comme dépôt divin est un devoir religieux. Donc, en aucun cas, il n’est permis de négliger son corps, le maltraiter ou le priver du soin, sous quelque prétexte que ce soit : ’’ton corps a un droit sur toi’’. 

En puisant dans le tréfonds de la " Siira", la hagiographie islamique, des compagnons du prophète, on s’aperçoit que lorsque la peste arriva à l’époque du deuxième successeur du Prophète (Psl), Omar Ibn Khatab, ce dernier refusa de rentrer au Châmm (une partie de la Syrie actuellement), qui était alors touché par cette épidémie, et un compagnon « Abu Oubayda Ibn Jarrah » lui reprocha : « Est-ce que tu fuis le destin d’Allah ? ». Omar lui rappela une philosophie du destin : « On fuit le destin d’Allah vers le destin d’Allah ». C’est-à-dire qu’il ne faut pas utiliser le prétexte d’un destin pour justifier notre choix d’adopter telle ou telle attitude à risque.

Dans ce sillage, il faut noter que les chefs religieux ont joué le rôle qui est le leur, en adoptant une attitude irréprochable et très positive en ayant la pleine conscience du danger qui pèse sur les vies des fidèles et qui cache derrière la contamination massive. C’est pourquoi ils ont fourni beaucoup d’efforts dans sillage de sauver des vies et garantir la réussite du combat contre le Covid-19. Ils y ont apporté énormément de partitions.

Entre mosquées fermées, pèlerinage annulés et rassemblements suspendus, l’ordre religieux sénégalais, toutes obédiences confondues, a donné de réels gages de bonne volonté pour s’adapter aux exigences du contexte Covid-19.

Quelle explication pouvez-vous donner à la multiplication des cas à Touba ?
 
Touba représente le ventre mou de la précaution nationale contre la Covid-19. La multiplication des cas positifs à Touba, s’explique du fait que Touba n’a jusqu’ici connu aucune mobilisation d’envergure, aucun élan social ayant trait à la dynamique prophylactique, contre la propagation du Coronavirus. Ce qui fait que la majorité de la population n’est pas suffisamment ni conscient ni imprégnée des réels dangers qui pèsent sur elle, elle ne mesure pas également les véritables dangers très pernicieux qui sont liés à la propagation de ce virus très contagieux.

Donc le premier ressort de cette attitude de la population assez inconsciente et nonchalamment rétive et réfractaire à l’élan de la mobilisation nationale contre le Covid-19. C’est peut-être l’absence des relais politiques locaux, pour mener convenablement la campagne de sensibilisation et de la promotion des gestes barrières sur le terrain social. 

« LA MOBILISATION NATIONALE CONTRE LA COVID 19 S’ESSOUFFLE »

 
 
Pourquoi ce fiasco de la promotion des gestes barrières a-t-il lieu ?
 
C’est parce que la notion du chef religieux, régulateur social, est uniquement orienté vers la loyauté politique du religieux envers le pouvoir et l’engagement du marabout pour la promotion électorale en faveur de l’homme politique en contrepartie des avantages politiques et la reconnaissance publique de certains titres sociaux au profit du marabout. Une approche dévalorisante qui fait que le marabout ne serait plus, un relais social, qui promeut la morale civile. Voilà pourquoi aucun chef religieux ne s’est investi pour que cette règle de discipline protectrice ne soit respectée à grande échelle dans la ville sainte. 


Nous savons tous que la mobilisation nationale contre la Covid-19 cloche et s’essouffle bien. Puisque hormis la campagne médiatique et le traitement ’’overdose’’ dans la presse, il n’y a eu aucune appropriation populaire des mesures barrières ou bien un engouement social noté. Bref, les plans de riposte gouvernementale n’ont aucune résonance sociale et n’emportent guère l’adhésion des masses. Cela est du fait que le gouvernement du Sénégal infantilise souvent, aux profils des marabouts, tous les relais de transmission culturelle et chaîne de vulgarisation sociale qui sont présentes à la cité religieuse comme : les présidents de Dahira, les grands commerçants grossistes et certains leaders d’opinion locaux.

La deuxième explication, c’est qu’après deux mois de confirment, il s’est avéré très nettement que la courbe de la contamination monte en flèche. Et il est évident qu’aucun plan de sensibilisation ne réussira pas, s’il ne gagnerait pas la confiance des masses. Celle-ci ne s’acquiert que lorsque que les gens verront que ça marche. Et tout le monde a pu constater que le confinement n’a pu couper la chaîne de la propagation de la maladie.

Ne craignez-vous pas que la réouverture des mosquées fasse croitre les cas dans la cité religieuse de Touba ?  
 
Le combat des offices religieux est gagné ici au Sénégal. Comme ailleurs en France, la « bataille de la messe » a été menée avant tout par les réseaux catholiques traditionalistes ou identitaires. Ici au Sénégal, la bataille des mosquées a été menée pacifiquement par les religieux orthodoxes de Médina Gounass et des imams conservateurs de certaines chapelles religieuses, obédiences confréries et mouvances islamistes. Et l’Etat du Sénégal a cédé par crainte de l’effet cocotte-minute et le déconfinement de la colère refoulée à travers ce que j’appelle "un islamisme ressentimental" engagé contre l’Etat.
Permettez-moi de souligner que ce contexte est celui du déconfinement au niveau mondial. Même si l’ouverture des mosquées pourrait augmenter le risque du flux des cas, il n’en reste pas moins utile de savoir s’adapter à la pandémie pour survivre économiquement. 

L’ouverture des lieux de culte pourrait bien faire exploser les cas dans la mesure où partager un espace confiné, mal ventilé pendant une ou plusieurs heures, constituerait le dénominateur commun à la grande majorité des situations propices à la contagion du Coronavirus SARS-CoV-2.

Si la transmission du virus par les microgouttelettes à l’occasion d’une toux ou d’un éternuement est établie depuis le début de l’épidémie, un faisceau d’indices concordant laisse à penser que son transport aéroporté sous forme d’aérosols serait à l’origine d’un nombre tout aussi important de contaminations. Et ce n’est pas un mystère que dans cette fin de ramadan, elle manifeste chez les Sénégalais une tentation ardente de renouer avec les ferveurs religieuses et rassemblements culturels, ce qui risquerait d’induire une deuxième vague de contamination. Laquelle créerait une situation chaotique, très mortifère et exposerait la vague pandémique avec des taux de létalité inouïs.


La maladie a mis en lumière le caractère déficient de notre système de santé en état de délabrement avancé, avec une structure sanitaire trop vétusté, qui constitue un hôpital moribond avec un service de réanimation très exigu et des soins intensifs en lambeaux. Avec cette situation alarmante, tout rebond épidermique, mettrait en saturation extrême, tous les services de réanimation et une telle situation serait être le synonyme d’une hécatombe annoncée.
 
Quel impact pourrait avoir cette pandémie sur le mode rural ?
 
Le monde rural vivote sous le blocus économique et financière du Coronavirus. Ce monde rural devient même un cas de contact dont il convient de suivre de très près. La restriction des marchés hebdomadaires ruraux, sur l’étendue du territoire, a créé une situation de frémissement économique très sévère. Les paysans sont ainsi privés de leurs débouchés commerciaux au premier niveau où ils réalisent leurs affaires et écoulent leurs produits d’élevage et de contre-saison pour subvenir à leurs besoins monétaires et alimentaires. Les restrictions imposées dans les transports intérieurs et extérieurs ont perturbé le fonctionnement des chaines logistiques (approvisionnements, livraisons) qui impliquent les exploitations agricoles. 




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