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"Tous les samedis, nous nous enfermons", raconte une concierge des Champs-Élysées

Rédigé par Dakarposte le Lundi 25 Mars 2019 à 13:01

Ana, une concierge de 42 ans, occupe une loge non loin des Champs-Élysées. Solidaire des premières revendications des Gilets jaunes, elle est aujourd’hui exaspérée par le mouvement. Elle revient sur son quotidien.


“Nous restons enfermés chez nous tous les samedis", raconte Ana*, concierge à Paris depuis 15 ans. La jeune femme de 42 ans et sa famille habitent l’un des beaux immeubles haussmanniens dressés sur une verdoyante avenue menant aux Champs-Élysées, en plein cœur de Paris. Mais si la quadragénaire réside dans une rue prestigieuse, son salaire, en revanche, est bien moins mirobolant que celui perçu par ses voisins de palier. Avec son modeste revenu de 1 083€ mensuel, la concierge comprend aisément les revendications des manifestants. "Quand les Gilets jaunes ont organisé leur première manifestation, je me suis sentie solidaire avec le mouvement. Je me disais qu’il y avait effectivement des choses qui n’allaient pas [dans ce pays]."

Loin du faste

Entourée d'extravagantes boutiques de luxe, elle tente de boucler les fins de mois. "La vie n’est pas facile. Il y a toujours eu à manger sur la table. Mais je n’achète pas de vêtements ni de chaussures neuves, par exemple. Nous allons au restaurant environ une fois par mois. Et encore, ce n’est pas toujours possible," explique-t-elle, ajoutant que son mari occupe déjà deux emplois pour joindre les deux bouts. D’ailleurs, elle aussi cherche un deuxième travail pour vivre plus confortablement.

De cette vie simple, elle ne nourrit aucune rancœur. "Oui, la majorité des habitants de l’immeuble a beaucoup d’argent mais elle travaille dur pour cela et considère que rien n’est acquis. Et puis, ils sont généreux, poursuit la gardienne désignant dans le même temps son intérieur de 40 mètres carrés qu’elle partage avec son mari et ses deux enfants. Ana et son époux dorment sur un canapé-lit dans le salon, qui sert également de salle à manger. Les enfants, eux, occupent chacun une petite chambre.

De la solidarité à l’exaspération

Il y a encore quatre mois, Ana assurait qu’elle se sentait en sécurité chez elle, consciente de la chance qu’elle avait de pouvoir élever ses enfants dans un cadre privilégié et sécurisé. Soutien de la première heure, elle a pourtant revu sa position sur la contestation dès les premières violences. "Le mouvement a pris une tournure effrayante, explique la mère de famille. Des balles en caoutchouc ont été tirées, notre porte d’entrée tremblait."

Et de poursuivre, "tous les samedis, je suis angoissée pour mes enfants. Ma fille qui va avoir 18 ans passe son permis de conduire et n’a que le samedi pour pouvoir faire ses heures de conduite. Je suis donc obligée de la laisser sortir en dépit des violences. Pas question en revanche que le petit sorte."

Un quotidien pesant

Le mouvement contestataire a d’ailleurs chamboulé l’ensemble de son quotidien. "Dès le samedi matin, à 7 heures, lorsque je sors acheter mon pain, je dois penser à prendre une pièce d’identité si je veux à nouveau pouvoir rentrer chez moi."

Avant les manifestations, Ana faisait ses courses le samedi. Elle commande désormais en ligne et se fait livrer le jeudi ou le vendredi pour que la famille ait de quoi tenir jusqu’à la fin de la semaine.

Les jours de rassemblements, les voitures ne sont pas autorisées et les arrêts de métro et de bus sont fermés. "Nous devons alors marcher un à deux kilomètres pour arriver à l'arrêt le plus proche. Parfois plus", explique-t-elle, évoquant le périmètre de sécurité qui ceinture le quartier des Champs-Élysées et s’étend sur plusieurs kilomètres. "Nous sommes sous étroite surveillance policière. Mais il faut aussi reconnaître que c’est rassurant. Les policiers sont vraiment gentils. Je leur parle tout le temps."

"Cela n’arrange rien à ma dépression"

Le mouvement a aussi une incidence sur son travail. Elle a notamment dû prendre de nouvelles dispositions concernant les poubelles, car les camions des éboueurs ne peuvent plus circuler comme ils le faisaient auparavant.

Les manifestations à répétition ont surtout commencé à jouer sur sa santé, notamment sur la dépression qui la ronge depuis plusieurs années. "Après plus de quatre mois, c’est épuisant. Cela n’arrange rien à ma maladie. Si je veux aller dans un parc pour prendre un peu de soleil, je ne le peux même pas, parce que tout est fermé."

Aujourd’hui, la Parisienne estime que les choses sont allées trop loin. "Surtout après que le président Emmanuel Macron a présenté un plan de 10 milliards d’euros d’aides sociales. Je ne comprends pas ce qu’ils veulent d’autre. Le gouvernement a fait un geste et puis il arrive un moment où il faut comprendre qu’il faut travailler, l’argent ne tombe pas du ciel."

Une hostilité grandissante

Ana redoute à chaque nouveau rassemblement qu’un Gilet jaune ou un casseur finisse par s’en prendre à une personne de son immeuble. "On a l’impression que l’on ne nous pardonne pas le fait d’habiter dans un quartier riche. Mais les gens qui y habitent travaillent dur pour cela. Ils ne passent pas leur journée à attendre que l’argent tombe tout seul."

Ana perçoit même dans ce mouvement une animosité croissante contre laquelle chaque résidant doit se prémunir. "Quelques jours plus tôt, je suis allée acheter un cadeau d'anniversaire pour un ami dans l'une des boutiques de luxe des Champs-Élysées. J’ai acheté une montre et au moment de la prendre, la vendeuse m'a proposé un sac blanc pour la transporter pour que personne ne puisse voir que je m’étais rendue dans cette boutique. J'ai été choquée. Est-ce ce qu’on en est vraiment arrivés là ?", s’interroge la parisienne exaspérée.
 





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