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Départ de la Minusma : entre le Mali et l’ONU, un divorce devenu inévitable

Rédigé par Dakarposte le Vendredi 30 Juin 2023 à 16:31 modifié le Vendredi 30 Juin 2023 - 16:37

Le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé vendredi la fin de la Minusma, la mission des Casques bleus au Mali, avec un départ accéléré sous six mois conformément au souhait du gouvernement de transition malien. France 24 revient sur le rôle de cette force présente sur le terrain depuis dix ans, tombée en disgrâce avec l’arrivée des militaires au pouvoir


Clap de fin pour la Minusma. Le Conseil de sécurité de l'ONU a mis un terme immédiat, vendredi 30 juin, à la mission de maintien de la paix des Casques bleus au Mali – un retrait qui était réclamé par Bamako.

La résolution adoptée à l'unanimité met un terme à la la mission "à partir du 30 juin" et stipule qu'à partir du 1er juillet, les Casques bleus cesseront leurs activités pour organiser leur départ "d'ici le 31 décembre", officialisant la fin de la mission déployée depuis 2013 pour appuyer le processus politique dans ce pays et protéger les civils.

"Le réalisme impose le constat de l’échec de la Minusma, dont le mandat ne répond pas aux défis sécuritaires", dénonçait le 16 juin dernier le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, réclamant, à deux semaines de l'échéance du renouvellement de la mission, le "retrait sans délai" de la force des Nations unies.

Après d'intenses négociations, les deux parties se sont donc finalement accordées sur un départ accéléré sous six mois, une rupture qui intervient dans un contexte de tensions entre les militaires au pouvoir et l’organisation onusienne et alors que le pays est toujours confronté à une grave crise sécuritaire.


Mission de stabilisation après la crise de 2013
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a été créée dans le sillon de l’intervention militaire française de janvier 2013. Déclenchée par le président François Hollande à la demande des autorités maliennes, l’opération Serval permet de contrer l’avancée d’une coalition de Touareg et d’islamistes radicaux vers Bamako.

Mais alors que de graves menaces sécuritaires persistent, notamment dans le Nord, le président par intérim, Dioncounda Traoré, demande à l’ONU la mise en place d’une opération de stabilisation et de maintien de la paix dans le pays, officiellement créée le 25 avril 2013.

Record de pertes humaines
Composée de 11 700 militaires et 1 600 policiers envoyés par plus de 55 pays, la Minusma a pour mission de protéger les populations, empêcher le retour d'éléments armés dans leurs bastions et soutenir le rétablissement de l’autorité de l’État à travers le territoire. Mais la réalisation de son mandat se heurte au contexte sécuritaire qui se dégrade.

L’opération Barkhane, déclenchée en août 2014 pour endiguer la menace terroriste dans tout le Sahel, peine à faire face avec ses 5 000 hommes sur ce vaste territoire de trois millions de kilomètres carrés. Un temps cantonnée au Nord, la menace terroriste gagne du terrain dans le centre, dans la zone des "trois frontières" (Mali, Burkina Faso, Niger). Les groupes islamistes armés liés à Al-Qaïda et à l’organisation État islamique y multiplient les attaques contre les populations civiles et les Casques bleus censés les protéger.

Depuis 2015, la Minusma détient le triste record du plus grand nombre de pertes humaines au sein des missions de l’ONU, devant l’opération au Darfour. Au 30 juin 2023, l’organisation comptabilise 174 personnels morts dans des attaques depuis le début de la mission il y a dix ans.

Procès en inefficacité
Si des divergences d’opinions existaient déjà en coulisse entre le gouvernement de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta et l’ONU, les relations se sont sévèrement dégradées depuis l’arrivée des militaires au pouvoir à la faveur de deux coups d’État, en août 2020 puis mai 2021.

Les nouveaux dirigeants ont ouvertement fustigé à plusieurs reprises l’"inefficacité" de la Minusma, incapable "d’apporter les réponses adéquates à la situation sécuritaire au Mali".

Au cours des dernières années, le mandat de la mission a été à plusieurs reprises renforcé, à la demande des autorités maliennes, pour s’étendre au-delà de celui d’une mission de la paix classique. Mais bien qu’il autorise des mesures proactives, notamment pour la protection des civils, la Minusma doit agir en appui de l’armée et n’a pas vocation à être une force antiterroriste.

S’il se dit "parfaitement conscient" de cette réalité, le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, considère que les "perspectives de maintien" de la Minusma "ne répondent pas aux impératifs de sécurité des Maliennes et des Maliens".

Accord de paix en berne
Depuis 2015, la force de l’ONU est par ailleurs censée accompagner la mise en place de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé à Alger, qui doit permettre une résolution politique avec les groupes rebelles du Nord. Or, là encore, la situation piétine.

"Cet accord est aujourd’hui au point mort. On a vu une dégradation de la relation entre le gouvernement et les groupes armés signataires, qui ne siègent plus, depuis un certain nombre de mois, au sein du comité de suivi de l’accord", analyse Niagalé Bagayoko, politologue, présidente de l'African Security Sector Network.

Alors que les militaires au pouvoir accusent la Minusma d’ingérence dans les affaires internes du pays, les groupes armés signataires de l’accord défendent au contraire son action. Le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant ces principaux groupes, a estimé que le départ de la force onusienne serait "un coup fatal porté délibérément contre l'Accord pour la paix".

Conflit sur les droits humains
Parmi les points de contentieux majeurs entre la force onusienne et les autorités de transition maliennes figure la question des droits humains. Outre ses 13 000 militaires et policiers, la Minusma inclut une composante civile de 1 800 personnes dont des enquêteurs qui répertorient les exactions commises dans le pays. Plusieurs rapports ont ainsi été publiés alertant sur la progression des groupes terroristes mais aussi sur des crimes imputables aux forces maliennes, aux forces de la milice russe Wagner – déployées dans le pays à la demande des autorités maliennes – ou bien encore à l’armée française.

Les autorités maliennes, qui ont fait de la souveraineté le fer de lance de leur politique, voient d’un très mauvais œil les accusations envers leurs soldats. Elles accusent l’ONU de politiser la question des droits humains afin de "discréditer" les forces armées maliennes (Fama). En février, elles ont ordonné l’expulsion du directeur de la division des droits de l'Homme de la Minusma, pour "agissements déstabilisateurs et subversifs".

Dans ce contexte de forte défiance, la publication, en mai 2023, du rapport sur le massacre de Moura a fait l’effet d’une bombe. Les enquêteurs y concluent à la mort d’au moins 500 personnes lors de l’intervention des soldats maliens et de "personnels militaires étrangers" – sous-entendu les miliciens de Wagner – du 27 au 31 mars 2022 dans ce village du centre du pays, dans une zone contrôlée par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda.

En réponse, les autorités maliennes ont annoncé l’ouverture d’une enquête contre la Minusma pour "espionnage" et "atteinte à la sûreté extérieure de l’État", dénonçant l’utilisation "clandestine" d’images satellite. En parallèle, les manifestations se sont multipliées à Bamako pour demander le départ de la force onusienne, alimentées par des campagnes hostiles sur les réseaux sociaux.

"Déjà l’année dernière, le renouvellement de la mission s’était fait sur le fil, du fait d’un manque évident de confiance des autorités envers la mission, qu’ils jugent trop proche de la France", analyse le journaliste malien Malick Konaté. "Néanmoins, les autorités maliennes n’avaient pas prévu de demander le retrait de la Minusma en juin 2023. Elles voulaient faire modifier ses prérogatives pour qu’elle soit plus offensive militairement et moins axée sur les droits de l’Homme. Il ne fait aucun doute que le rapport de Moura, à deux mois de l’échéance annuelle de renouvellement de la mission, a agi comme un déclic."

Lors des négociations avec les autorités maliennes, l’ONU a consenti à un retrait total d’ici à janvier 2024, et non sous une durée de dix-huit mois, comme c’est habituellement le cas pour ce genre de mission.

"D’ici là, la Minusma ne travaillera qu’à son départ et n’aura plus de mandat politique ni d’enquête sur la question des droits de l’Homme", précise Carrie Nooten, correspondante de France 24 à New York. "Enfin, à partir d’octobre, elle ne sera plus habilitée à défendre des civils. Ce ne sont qu’à ces conditions que les diplomates maliens, soutenus par la Russie, se sont montrés satisfaits", indique-t-elle.

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