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[Enquête] Être maire au Sénégal : ce qui fait courir les candidats

Rédigé par Dakarposte le Mardi 16 Novembre 2021 à 19:28

Nombreux sont les responsables politiques ou cadres qui briguent la mairie ou le conseil départemental de leurs localités. Dans ce travail, Le Soleil essaie de voir ce qui fait courir ces personnalités.


Avantages personnels, développement de la collectivité territoriale ou simple question de prestige ? Les motifs qui font courir les responsables politiques et autres cadres des localités sont multiples. Pour l’enseignant en sciences politiques à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, Moussa Diaw, tout dépend de la conception que ces leaders ont du pouvoir. Pour certains, soutient-il, le poste de maire ou de président de conseil départemental confère une notoriété pour redorer son image et sa notoriété. Au-delà, la fonction laisse espérer un meilleur positionnement politique au niveau national. Ancien président de délégation spéciale à Louga, l’expert en décentralisation Adama Guèye estime également que la fonction permet de valoriser le statut d’un homme politique et d’en faire une sorte de tremplin pour d’autres ambitions.

Visibilité et gage de base politique solide

« La visibilité donne des opportunités aux maires. Il s’agit d’un positionnement à l’intérieur des appareils politiques pour démontrer qu’on a une base solide », explique El Malicky Bousso du Forum civil. Être à la tête d’une collectivité territoriale, estime cet ancien haut cadre qui préfère garder l’anonymat, permet d’avoir des raccourcis, notamment pour certains hommes d’affaires prêts à investir pour se faire élire. À son avis, rares sont les citoyens qui se positionnent par idéal ou par profil.

Certains lient l’engouement que suscitent les fonctions de maire et de président de conseil départemental par les avantages matériels relatifs (lire article sur la rémunération d’un maire et les avantages inhérents à la fonction) qu’elles confèrent. Le Pr Moussa Diaw en veut pour preuve « les dérives notées dans la gestion du foncier et le fait que certains se sont enrichis durant leur magistère ».

Les fonds à gérer peuvent augmenter les appétits. M. Bousso donne l’exemple des zones minières où les ristournes des chiffres d’affaires des sociétés permettent aux communes de se retrouver avec des montants consistants. D’ailleurs, la presse se fait régulièrement les échos des résultats d’audits faits par les corps de contrôle de l’État qui épinglent souvent des responsables de collectivités territoriales. Les budgets des collectivités territoriales, qui augmentent depuis quelques années, déclenchent des appétits, estime l’ancien haut cadre anonyme. « Je regrette que des citoyens incapables de défendre un budget ou de présenter un plan à court, moyen ou long terme se bousculent à la tête des mairies », dit-il.

Par ailleurs, en droite ligne du transfert de compétences aux collectivités territoriales, l’État central a consenti des efforts financiers afin d’appuyer les collectivités locales qui sont ses démembrements. Ainsi deux fonds ont été mis en place à cet effet, le Fonds de dotation de la décentralisation (Fdd) et le Fonds d’équipement des collectivités territoriales (Fecl). Pour cette année, 27 milliards de FCfa et 33 milliards de FCfa ont été versés aux 599 collectivités territoriales du Sénégal au titre de ces deux fonds respectifs. Le relèvement du Fdd, qui est passé de 16 milliards de FCfa en 2012 à 27 milliards en 2021, est salué par les associations des élus territoriaux à chacune de leurs rencontres. Le Fecl a aussi connu une hausse significative, passant de 12,5 milliards de FCfa en 2012 à 33 milliards de FCfa en 2021.

S’engager pour développer sa localité

L’engagement en faveur de sa localité peut être une source de motivation pour un candidat au poste de maire. Des citoyens qui s’intéressent au développement de leur localité à travers différents mouvements associatifs reçoivent des demandes des populations locales à se présenter, explique Adama Guèye. D’autres, ajoute-t-il, bien assis financièrement, veulent rendre la monnaie à leur localité. « Ces leaders déclarés candidats ont dû analyser les rapports de force au niveau local et certains, connaissant bien les réalités, ont des projets et des relations de proximité avec les citoyens dans leurs localités respectives », explique Moussa Diaw. C’est en évaluant l’ensemble de ces relations, de leurs capacités à proposer, à travers un projet, une autre façon de gouverner mais aussi une façon de s’impliquer, que certains leaders se sont lancés dans la conquête des mairies ou des conseils départementaux.

Parfois aussi les péripéties de la vie peuvent amener une personnalité engagée et adulée par les siens à finir dans le fauteuil de maire. Maire sortant de Biscuiterie, Djibril Wade reconnaît avoir accédé à cette fonction par accident. « J’ai largement œuvré dans le mouvement associatif pendant des décennies et parallèlement j’ai eu à soutenir mon oncle paternel, l’ancien Président Abdoulaye Wade », a-t-il déclaré.

Aly DIOUF, Oumar NDIAYE et El. H. THIAM (Le Soleil)

DÉVELOPPEMENT DU TERROIR


Les raisons de l’engagement de deux candidats novices

Bassirou Kane est candidat à la mairie de la commune de Pire Gourèye (Tivaouane) pour les prochaines élections territoriales de janvier 2022. Ingénieur en génie civil, c’est la première fois qu’il se présente à des joutes électorales. Son but : contribuer davantage au développement de sa commune. Il s’est lancé dans la course pour le fauteuil de maire de Pire Gourèye parce qu’il a compris que beaucoup de maires considèrent leur commune comme un tremplin pour accéder à d’autres fonctions étatiques. Or, renseigne-t-il, « le développement d’une commune, c’est à la base. Ce sont les populations qui doivent en être les précurseurs ». À l’instar de Bassirou Kane, Mamadou Moustapha Ndiaye n’a jamais été maire d’une localité. Mais pour les élections territoriales de janvier 2022, il est la tête de liste de la coalition Benno Bokk Yaakaar (Bby) dans la commune de Sahm Notaire (Guédiawaye). Selon lui, c’est grâce à son engagement dans le développement local que le Président de la République a porté son choix sur sa personne. « Depuis plus de 20 ans, je suis engagé auprès de la communauté dans divers domaines. J’ai encadré au moins 3000 femmes de la localité qui, aujourd’hui, sont devenues autonomes financièrement. C’est ce qui m’a donné une certaine notoriété auprès des populations qui ont été les premières à me demander de me présenter parce qu’elles connaissent mon expertise et mon parcours professionnel », a expliqué l’ingénieur financier.

Les sortants veulent « achever les chantiers en cours »

Après des mandats plus longs que la normale, plusieurs maires en briguent un autre à l’occasion des prochaines élections locales. Pour beaucoup parmi eux, « achever les chantiers en cours » est presque élevé au rang de sacerdoce.


Plusieurs maires sortant sont candidats à leur propre succession. L’argument le mieux partagé est : « achever les chantiers en cours ». Selon Babacar Diamé, maire sortant de Foundiougne et candidat à sa propre succession, la question sur leurs motivations de briguer un second mandat est complexe. Il justifie, lui, sa candidature par une volonté d’asseoir un dispositif structurel à même de parachever ses travaux. Au-delà donc des chantiers qu’il laisse à la commune, il dit avoir le souci de la continuité de la bonne gestion des acquis administratifs et infrastructurels. « Je brigue un second mandat pour assurer la continuation de mon travail », a-t-il argumenté. Omar Ba, candidat à sa propre succession, est, lui aussi, guidé par le même souci pour sa commune Ndiob (région de Fatick).

Mais, contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, M. Ba explique que diriger une communauté n’a pas de grand avantage. Sa conception de l’exercice du pouvoir local est plus proche d’un sacerdoce. « Le maire a souvent un salaire limité, un budget restreint et est généralement dans des zones très défavorisées. Pour moi, être maire est un sacerdoce car il faut être utile à sa communauté. Et cela fait plaisir d’être élu par des personnes qui vous connaissent le mieux », a-t-il expliqué.

Pour Omar Ba et Babacar Diamé, se présenter aux élections locales est donc une question de confiance qui doit se matérialiser par des services rendus à la communauté. Il ne s’agit nullement d’une chasse au trésor, mais d’une volonté de faire du bien à la communauté dans la limite des conditions définies par le Codes des collectivités locales.

Oumar KANDÉ et Assane FALL



INDEMNITÉ MENSUELLE DE 300.000 FCFA

Le maire, une fonction presque bénévole

Le décret 2014-1225 fixant les taux maxima des indemnités aux membres du bureau municipal et aux membres de la délégation spéciale de la ville et de la commune.


Cela peut sembler alarmant pour le commun des Sénégalais, mais la plupart des maires au Sénégal touchent une indemnité mensuelle de… 300.000 FCfa imposable. Selon Mamadou Mbaye, spécialiste de la décentralisation et ancien maire de la commune de Grand Yoff, la modicité de ce montant – qui n’est pas un salaire – a son explication. Par le passé, il n’existait que des communautés rurales et très peu de communes. « Les gens ont par la suite harmonisé par le bas. Ce n’est pas un salaire, mais plutôt des indemnités, parce que la fonction de maire est gratuite », explique-t-il. Avec l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade, les choses ont évolué. « L’ancien maire de la Ville de Dakar, Mamadou Diop, avait 90.000 FCfa d’indemnités pendant presque 17 ans. C’est quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir que cette indemnité a été portée à 900.000 FCfa et 50.000 FCfa pour les adjoints », explique M. Mbaye.

Ces indemnités sont fixées par le décret 2014-1225 instituant les taux maxima des indemnités aux membres du bureau municipal et aux membres de la délégation spéciale de la ville et de la commune. Ainsi, dans ledit décret, les maires de ville et de commune (chef-lieu de région) obtiennent mensuellement 900.000 FCfa, ceux des communes chefs-lieux de département se retrouvent avec 500.000 FCfa, tandis que les maires des autres communes (l’écrasante majorité) gagnent 300.000 FCfa.

Pour autant, ce même décret accorde des « indemnités complémentaires » aux maires de communes de chefs-lieux de département, des autres communes, en fonction de l’importance de leur budget, ainsi que les indemnités aux adjoints au maire. À partir de 500.000.001 FCfa de budget et jusqu’à plus de 10 milliards de FCfa, cette indemnité complémentaire varie de 100.000 à 400.000 FCfa. Les adjoints ont une indemnité variant entre 50.000 FCfa et 125.000 FCfa.

Au-delà des indemnités qu’il pourrait percevoir dans sa fonction, le maire bénéficie d’autres avantages liés à sa fonction. D’abord l’estime et le respect que la population lui voue. « Le titre vous l’avez pour l’éternité », soutient l’ancien maire de Grand Yoff. Mais le maire a aussi droit à une voiture de fonction. Il profite des voyages et des missions qu’il effectue pour sa communauté. Seulement, ces missions, loin d’être gratuites, sont accompagnées de per diem au profit du maire.

Maguette NDONG


ÉLECTIONS TERRITORIALES

Le foncier de toutes les convoitises

Dans plusieurs collectivités territoriales, la question du foncier aiguise à la fois des appétits et est source de tension.


La bataille autour du foncier ne devrait pas avoir lieu en principe puisque le maire en soi n’a pas de compétence exclusive en matière foncière, explique le juriste spécialiste du foncier Mamadou Mballo. En fait, c’est le Conseil municipal qui a le pouvoir de délibération et non le maire pris individuellement.  Cette délibération est transmise au représentant de l’État dans la localité concernée pour son approbation. Et c’est à partir de ce moment que le maire intervient. N’empêche, les problèmes autour du foncier ont fait de la terre une bombe. Et cela inquiète jusqu’au sommet de l’État. « La question foncière reste le plus gros risque de conflit dans ce pays. Au quotidien, je reçois 20 à 50 dossiers brûlants portant sur des litiges fonciers », déclarait le Chef de l’État lors de la Journée nationale de la décentralisation (Jnd) en octobre 2020. Macky Sall fustigeait au passage la façon dont les élus gèrent le foncier au Sénégal. Cette dénonciation fait écho à l’actualité de tous les jours qui met les collectivités territoriales au centre des conflits fonciers. En fait, le foncier soulève des enjeux économiques, sociaux, culturels et cultuels. Il s’agit d’enjeux liés à la sécurité et/ou à la souveraineté alimentaire et nutritionnelle, surtout pour le monde rural qui vit essentiellement des activités agricoles. En outre, il y a des enjeux liés à l’habitat humain, à l’investissement public comme privé, à la préservation des ressources naturelles notamment dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Autant d’enjeux qui, de l’avis du juriste du foncier, nécessitent une large concertation entre les parties prenantes pour satisfaire ces différents usages du foncier.

D’après notre interlocuteur, la gouvernance est avant tout une affaire des collectivités locales. Et ce sont elles qui sont visées dans un premier temps quand il y a des accusations suite à des cas d’accaparement des terres communautaires. Donc, souligne-t-il, « le premier défi pour les futures équipes municipales est de stabiliser la gouvernance du foncier dans leur commune pour la paix sociale ».

Aliou DIOUF

 



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