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Rupture stratégique- En bombardant l’Iran, Donald Trump n’a pas seulement détruit des installations nucléaires mais toute la politique étrangère de Barack Obama (et celle de la France…?)

Rédigé par Dakarposte le Lundi 23 Juin 2025 à 11:45 modifié le Lundi 23 Juin 2025 - 11:53

Avec l’Iran, l’ancien président Barack Obama avait privilégié la voie diplomatique, ce qui s’est traduit par la signature de l’accord de Vienne de 2015, le JCPoA. Un héritage mis à mal par les bombardement décidés par Donald Trump sur les sites nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan.


Rupture stratégique- En bombardant l’Iran, Donald Trump n’a pas seulement détruit des installations nucléaires mais toute la politique étrangère de Barack Obama (et celle de la France…?)
Atlantico : En quoi est-ce que le bombardement américain mené par Trump en Iran solde-t-il définitivement la diplomatie et la politique étrangère de Barack Obama et de Joe Biden et la politique française ? Quel a été le bilan de cette politique Obama – Biden ? La stratégie des prédécesseurs de Trump était-elle liée au traumatisme de 2003 et aux difficultés liées à l’invasion de l’Irak ?

Guillaume Lagane : Cela a mis un terme à la politique d’Obama. Avec l’Iran, l’ancien président Barack Obama avait privilégié la voie diplomatique et cela s’est traduit par la signature de l’accord de Vienne de 2015, le JCPoA. Il faut néanmoins se rappeler qu’avant même que cette négociation soit entamée, Obama avait durci les sanctions contre l’Iran. Il avait été le premier à viser spécifiquement le secteur pétrolier, ce qui avait profondément affaibli l’économie iranienne et poussé Téhéran à négocier.
Obama n’avait pas totalement écarté les moyens coercitifs. En collaboration avec les Israéliens, des virus informatiques avaient ciblé l’Iran, notamment Stuxnet, afin de ralentir le programme nucléaire. Cela a permis de démontrer la pénétration des structures iraniennes par des services étrangers.
Le bombardement des sites stratégiques en Iran est une option militaire qu’Obama n’avait pas retenue, pas plus que son prédécesseur George W. Bush, d’ailleurs. Il s’agit réellement de la première fois qu’une confrontation militaire directe de cette ampleur oppose les États-Unis et l’Iran.
Il y avait eu des affrontements dans le golfe Persique entre les deux marines, dans les années 1980, qui s’étaient d’ailleurs soldés à l’avantage des Américains. Mais avec les frappes menées par Donald Trump, il y a réellement un changement d’échelle.




Jean-Sylvestre Mongrenier : Voilà bien longtemps que l’héritage diplomatique de Barack Obama est dispersé. En vérité, cet héritage n’était pas glorieux. Pour parvenir à un accord nucléaire très imparfait (le JCPOA/Joint Comprehensive Plan of Action), le 14 juillet 2015, le président américain avait détourné le regard de la répression à l’intérieur de l’Iran, limité le soutien américano-occidental à l’Armée syrienne libre, renoncé à faire respecter sa « ligne rouge » sur l’emploi par Damas d’armes chimiques, et favorisé les conditions d’un renforcement des relations russo-iraniennes. L’accord nucléaire de 2015 n’était pas encore finalisé que Moscou et Téhéran préparaient déjà leur intervention militaire combinée en Syrie. Déconsidérés depuis la reculade de septembre 2013 sur la « ligne rouge » des armes chimiques, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux perdirent alors le contrôle des événements sur le théâtre syrien et dans la région. Il fallut réagir en catastrophe au surgissement de l’« Etat islamique » (Daech), un temps maître d’un « Sunnistan », à cheval sur la Syrie et l’Irak.





En regard de ce bilan géopolitique régional désastreux, il importe de conserver à l’esprit les imperfections du JCPOA. Le régime islamique iranien se voyait reconnaître un fantasmatique « droit à l’enrichissement » de l’uranium, en rupture avec le traité de non-prolifération nucléaire (1968) et le texte des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant le programme iranien. Diverses clauses, dites « Sunset clauses », étaient limitées dans le temps, les unes s’éteignant en 2025, les autres en 2030 ; l’idée était que ce délai serait suffisant pour qu’une sorte de « Gorbatchev » iranien émerge, s’affirme et fasse le choix de conduire des réformes politiques et économiques, au détriment de l’islamisme révolutionnaire, de l’axe chiite et du projet de domination du Moyen-Orient (la liberté et la prospérité plutôt que la coercition et l’expansion). Enfin, le programme balistique et la stratégie de déstabilisation de la région - au moyen de groupes panchiites et autres affidés fonctionnant comme des « forces par procuration » (des « proxies ») -, n’étaient en rien ralentis, bien au contraire (le déblocage de fonds confisqués et les ventes de pétrole permirent à Téhéran de les financer). Bref, le multilatéralisme et la politique de non-prolifération étaient déjà bien atteints à cette époque. D’autant plus que le programme balistico-nucléaire de la Corée du Nord avait précédemment porté atteinte à ce dispositif diplomatique et juridique.


François Chauvancy : Ces frappes marquent clairement une rupture avec la politique américaine de Barack Obama et de Joe Biden vis-à-vis de l’Iran. Donald Trump décide de tourner la page. L’héritage diplomatique d’Obama est abandonné. Il y a sans doute aussi une volonté d’effacer tout ce qui a été entrepris avant l’arrivée de Donald Trump, de considérer que ce qui a été fait auparavant n’a pas été efficace, voire n’existe pas.
Sur le plan géopolitique, il faut reconnaître que l’accord de 2015 n’a pas produit les effets escomptés. Certes, Trump a dénoncé cet accord dès 2018, mais même à l’origine, il comportait des failles bien identifiées. Les vecteurs balistiques n’étaient pas inclus dans les négociations. Or, une bombe nucléaire n’a d’utilité que si elle peut être acheminée par un vecteur capable de frapper une cible à longue distance. Cette dimension essentielle avait été omise.




Par ailleurs, l’accord reposait sur une forme de confiance envers l’Iran quant à la limitation de l’enrichissement de l’uranium. Il existait en permanence un doute à ce sujet. Ce doute, bien qu’atténué par certains partenaires européens qui voulaient croire à la bonne foi iranienne, n’a jamais été levé. Israël, notamment, n’y a jamais cru - et sans doute à juste titre. Même si des observateurs ont pu dire à un moment que l’Iran respectait globalement les termes de l’accord, celui-ci restait structurellement vicié.
À terme, l’Iran a poursuivi l’enrichissement de l’uranium à des niveaux permettant une utilisation militaire. Il y a donc eu une forme de duplicité. Cette duplicité est désormais manifeste, quel que soit le degré de responsabilité initial de l’Iran.

Avec les frappes sur les sites stratégiques, Donald Trump acte la fin de cette séquence diplomatique. Il met fin à cette approche de Barack Obama et de Joe Biden, qu’il n’a jamais véritablement validée, même s’il a dû, au début, s’en accommoder.




Il y a actuellement un tout autre contexte. Depuis une dizaine de jours, Israël a pris la décision de frapper l’ensemble des installations nucléaires iraniennes. Il s’agit d’une suite d’événements qui a conduit à une situation où il faut choisir clairement une ligne stratégique : soit on agit, soit on ne prend aucune décision. Le multilatéralisme, qui consistait souvent à ménager les différents acteurs, n’est plus une option crédible.



Trump s’est donc inscrit dans une logique de rupture, malgré une certaine hésitation dans un premier temps. Il a toujours été réticent à l’emploi de la force non maîtrisée. Ce qui est paradoxal, c’est qu’il a montré dans le passé qu’il pouvait ordonner une frappe décisive, puis refuser l’escalade. Lorsqu’il a ordonné l’élimination de Qassem Soleimani, il a laissé l’Iran riposter symboliquement, puis il a mis un terme à l’escalade. Il a maîtrisé la violence.
C’est exactement la même situation actuellement. Il y a eu une frappe sur des cibles bien identifiées, cohérente avec une ligne rouge qu’il a clairement énoncée depuis le début : il ne veut pas que l’Iran obtienne l’arme nucléaire. Cette frappe s’inscrit donc dans une logique claire, ciblée et assumée. L’opération s’est globalement bien déroulée. Le fait d’avoir frappé l’Iran, d’être intervenu à ce niveau stratégique mondial, est en soi significatif. Trump a adressé un message au monde entier.
Depuis le début de son second mandat, Trump a essuyé de nombreux échecs diplomatiques. Il n’a obtenu aucun résultat significatif dans les dossiers qu’il a voulu traiter, notamment avec l’exemple de l’Ukraine, où il a été berné par Poutine. Avec l’Iran, Donald Trump voit une opportunité de redorer son image sans impliquer excessivement les États-Unis, tout en évitant de se déjuger vis-à-vis de son électorat. Il peut ainsi incarner une diplomatie de puissance, résolue, une paix par la force.
Cela repose sur une diplomatie coercitive. Ce concept avait d’ailleurs été formalisé comme une doctrine aux États-Unis. Trump aujourd’hui applique cette diplomatie coercitive.



Il reste à voir, bien sûr, quels seront les effets secondaires de cette action. Mais à cette heure, Donald Trump a clairement marqué un point important. Il reste maintenant à savoir si le président américain a pleinement mesuré ce que cela implique.



La stratégie américaine marque-t-elle un retour assumé à la politique de confrontation directe avec l’Iran ? Faut-il y voir une volonté de rupture stratégique de Donald Trump ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : A l’évidence, c’est une rupture. Soucieux de réparer une partie des dégâts causés par l’affaire irakienne, à l’intérieur du camp occidental, George W. Bush avait précédemment renoncé à frapper l’Iran pour laisser un espace à la diplomatie, l’UE-3 (Paris-Londres-Berlin) ouvrant des négociations avec Téhéran. Barack Obama les avait conclues (voir plus haut). En 2018, Donald Trump sortit les Etats-Unis du JCPOA et initia une politique de « pression maximale » mais il refusa de frapper l’Iran quand il en eut l’occasion ; rappelons qu’il ne riposta pas lorsque l’Iran et ses affidés bombardèrent des infrastructures en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis (ceci explique la prudence aujourd’hui des monarchies du golfe Arabo-Persique). Par la suite, l’Administration Biden tenta de renégocier cet accord mais le régime islamique s’y refusa.

Indubitablement, le bombardement américain des sites nucléaires iraniens ouvre une nouvelle phase. On peut penser que Donald Trump aurait préféré une négociation fructueuse mais les diplomates iraniens maîtrisent l’art de négocier pour négocier, afin de gagner du temps. Spécialiste de la géopolitique des club-houses, Steve Witkoff (l’envoyé spécial de Donald Trump, en aura fait les frais. Il se peut que ces bombardements ne suffisent pas, la confrontation militaire s’élargissant encore, notamment dans le golfe Arabo-Persique et le détroit d’Ormuz. Le président américain en est-il pleinement conscient ? Le néo-isolationnisme n’est décidément pas praticable. Au vrai, une puissance, plus encore une superpuissance, n’a pas la liberté d’entrer ou de sortir du système international, selon ses désidératas. Il faut aussi s’interroger sur les répercussions de cette guerre sur d’autres théâtres, de l’Ukraine au détroit de Taïwan.




Ces bombardements en Iran marquent la fin de la politique étrangère d’Obama mais est-ce un camouflet pour la diplomatie française ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Ce n’est pas un « dossier » mais une guerre d’envergure régionale, qui pourrait s’étendre encore. Au printemps 2024, lorsque l’Iran frappa pour la première fois le sol israélien, nous n’avons pas voulu voir que « les portes de la guerre étaient grandes ouvertes » (cf. Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935). Il fallait dédramatiser et rassurer : « Nul n’a intérêt à escalader » ! La situation de guerre ouverte, ses causes profondes, l'arrivée à maturité du programme nucléaire iranien et le refus du régime islamique de Téhéran de négocier de bonne foi condamnaient à l’échec cette diplomatie française et européenne de la dernière chance. Non, Paris et les capitales européennes n’ont pas prise sur les événements. Du moins leur tentative aura-t-elle permis de clarifier la situation et de mettre en exergue l’intransigeance idéologique du régime iranien ; plus qu’une théocratie, il s’agit d’une idéocratie rigide. La souplesse dont les dirigeants iraniens savent faire preuve n’est faite que de ruses, de stratagèmes et de tactiques dilatoires.


Guillaume Lagane : La position de la France dans le dossier iranien a été sinueuse et a varié dans le temps. La France était un État très soucieux de la non-prolifération, très inquiet de la prolifération nucléaire iranienne, et donc assez ferme à ce sujet. Il faut se souvenir qu’à l’époque où Laurent Fabius était ministre des Affaires étrangères, la France faisait partie des États critiques du JCPoA, estimant que l’accord n’était pas assez exigeant.



La France, à l’époque, pointait du doigt cet accord car il aurait permis à l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire dans un délai trop court, et car il n’abordait pas certains sujets essentiels : la prolifération balistique (la fabrication de missiles) ou encore l’activisme régional de l’Iran à travers des groupes comme le Hezbollah ou le Hamas.
La France, il y a dix ans, avait donc une position assez dure. Elle a ensuite soutenu la signature de l’accord de Vienne. Puis, avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, elle a regretté le retrait des États-Unis de l’accord, un an après son élection. Sa position a alors consisté à soutenir un retour dans l’accord. La France a par exemple appuyé les négociations de l’administration Biden avec l’Iran.

La situation actuelle reflète donc cette complexité et parfois le manque de lisibilité de la position française. D’un côté, la France n’a pas vraiment condamné les frappes israéliennes de la semaine dernière, ce qui constitue une surprise car, jusqu’alors, les autorités françaises étaient très critiques à l’égard d’Israël, notamment sur la question de Gaza. La France s’apprêtait même à reconnaître l’État palestinien dans le cadre d’une conférence à l’ONU.

Mais depuis l’intervention américaine, la France a exprimé ses préoccupations. Elle semble aujourd’hui se tenir un peu à l’écart, dans une posture réservée mais néanmoins critique. Elle a d’ailleurs repris des termes utilisés par d’autres acteurs régionaux comme l’Arabie saoudite, qui a également exprimé sa « préoccupation ».
Plus qu’un désaveu, cette séquence révèle une forme de marginalisation de la diplomatie française, qui semble désormais cantonnée à un rôle d’observatrice, tenue à l’écart des décisions stratégiques.
François Chauvancy : Donald Trump a déjà exprimé ce qu’il pensait du président Macron. Je doute que les Européens aient été avertis de cette opération. Et cela ne concerne pas uniquement la France. Notre pays a entraîné dans son sillage l’ensemble de l’Europe. En tant que bloc signataire des accords de 2015, l’Union européenne prétendait avoir son mot à dire sur la diplomatie au Moyen-Orient, notamment dans les relations entre Israël et l’Iran.




Trump, avec cette intervention, vient de rappeler que les Européens n’ont ni voix ni rôle véritable dans cette région. Ils sont des acteurs extérieurs et secondaires. Cette frappe affaiblit mécaniquement la position française, qui cherche désespérément à exister sur la scène internationale. Mais quels sont les leviers réels de la France et de la diplomatie européenne ? On pourrait presque poser à la France la question que Staline posait au sujet du Vatican : Combien de divisions ? Autrement dit, quels moyens concrets a-t-elle pour imposer sa volonté ? Ils sont extrêmement limités.La France se focalise sur les appels au dialogue, sur les exhortations à la retenue et les rappels au droit international. Les communiqués officiels sont toujours construits sur le même modèle.

La France explique qu’elle comprend le besoin d’Israël de se défendre mais qu’il faut éviter l’escalade. Il n’y a pas eu de condamnation française claire de l’action des États-Unis. Tout au plus, une « profonde préoccupation » a été exprimée. Mais les États-Unis s’en moquent. L’Europe n’est pas au rendez-vous des grandes décisions. Elle reste confinée à des dossiers mineurs. Elle essaie de s’immiscer dans des affaires où elle n’est ni attendue ni jugée apte à jouer un rôle décisif.

L’Iran, lorsqu’elle a travaillé avec les diplomates européens, l’a fait en les instrumentalisant. Les journalistes parlaient même de « dernière carte européenne » dans l’espoir que l’Union européenne puisse faire pression sur les États-Unis, avant les frappes américaines. La diplomatie européenne a été utilisée comme une variable d’ajustement, toujours dans l’optique de chercher la conciliation.

Donald Trump rappelle aujourd’hui que cette logique a ses limites, et que lorsqu’un pays dispose des moyens nécessaires pour agir, il est essentiel de les utiliser pour imposer sa volonté.

Aujourd’hui, la nouvelle phase entamée par Donald Trump est-elle vraiment pensée, réfléchie ou se fait-elle au fil de l’eau ? Au fond, cette opération signe-t-elle la faillite de la diplomatie occidentale traditionnelle fondée sur la retenue, le compromis et le multilatéralisme ? Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère de la politique étrangère ?


François Chauvancy : Nous ne sommes plus dans la diplomatie du XXe siècle. Avec cette attaque, nous sommes bel et bien entrés dans celle du XXIe siècle, où les admonestations ne servent plus à grand-chose, et où les références au droit international sont à relativiser.




Autant le droit international a pu poser un cadre de légalité dans les relations entre États, autant aujourd’hui, la notion de légitimité des intérêts nationaux prime sur cette légalité. C’est ce que l’on observe aussi bien en Ukraine que dans le contexte actuel au Moyen-Orient. Le monde est entré dans une phase de nouvelle diplomatie.

Nous sortons d’une diplomatie émotionnelle où étaient sans cesse mises en avant les pertes civiles, sur la nécessité de les épargner, sans considérer que, lorsqu’un État mène une guerre, c’est parce qu’il estime que des intérêts politiques, existentiels ou stratégiques sont en jeu et qu’ils prévalent sur les conséquences humanitaires. Il y aura toujours des victimes civiles. Mais la diplomatie occidentale ne cesse de marteler ces rappels à la retenue, de condamner, sans jamais réellement s’adapter à la nature du conflit. Cette vision ancienne était valable à l’époque où le droit international était respecté car dès qu’un État en violait les règles, la communauté internationale se mobilisait pour condamner, voire sanctionner.

La décision de Donald Trump marque la fin du multilatéralisme, que la France refuse de voir. La France cherche à maintenir une forme de réalisme modéré, qui lui permettrait d’exister diplomatiquement en neutralisant l’influence des grandes puissances. Mais il s’agit d’une illusion. Le monde n’est plus organisé autour de ce principe d’équilibre. Les puissants n’ont plus la volonté de faire des efforts pour que les plus faibles puissent exister à égalité.

La période actuelle montre que nous sommes entrés dans une phase où ce n’est pas forcément la raison du plus fort qui l’emporte mais tous les moyens sont utilisés pour atteindre les objectifs stratégiques, dès lors que cela est considéré comme légitime. Cette diplomatie coercitive est appliquée par les États-Unis.
Cette tendance va-t-elle durer trente ans ? Rien n’est moins sûr mais nous entrons clairement dans une nouvelle ère. Les remises en cause du droit international hérité du XXe siècle se multiplient, notamment de la part des nouvelles puissances ou de celles qui veulent redéfinir l’ordre mondial. Il ne reste désormais que l’Europe pour défendre une forme de droit international régionalisé, une vision du monde qui n’est pas partagée par les deux tiers, voire les trois quarts, de l’humanité.


Guillaume Lagane : Je ne suis pas complètement certain que nous soyons sortis de cette époque de diplomatie multilatérale, car les décennies précédentes ont aussi été marquées par une forme d’ambiguïté de la part de l’Occident. Sur la question de la non-prolifération, il faut rappeler que le traité de non-prolifération (TNP) était une initiative des années 1970, mais qu’il s’est véritablement généralisé au début des années 1990, au moment de la fin de la guerre froide. La France, par exemple, a ratifié ce traité en 1992.
À partir de là, l’objectif était de vouloir faire respecter le principe de non-prolifération par des instances multilatérales, notamment par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Les États proliférants comme la Corée du Nord ou l’Iran ont ainsi été visés par des résolutions du Conseil accompagnées de sanctions, dans le but de les faire revenir au strict respect du TNP.

Ces années-là ont également été marquées par une certaine forme d’émancipation vis-à-vis du droit international, et même par une certaine liberté prise par les grandes puissances à son égard. L’Irak, dans les années 1990, a été soumis à un régime de sanctions extrêmement sévères via le programme "pétrole contre nourriture" dont l’objectif était d’obtenir la transparence sur les programmes d’armes de destruction massive.

Par la suite, il y a eu la guerre d’Irak en 2003, justifiée par la présence présumée d’armes de destruction massive dans le pays. Il est vrai que ces armes n’ont pas été retrouvées, mais il faut également rappeler qu’avant 2003, il existait un consensus au sein des services de renseignement occidentaux sur l’idée que l’Irak possédait de telles armes. Le débat portait davantage sur la capacité à les contrôler, à arrêter ces programmes, et sur le degré d’urgence. Les États-Unis ont considéré que l’urgence justifiait une intervention militaire.
Il faut aussi rappeler que l’Irak avait déjà utilisé des armes chimiques dans les années 1980-1990 et développé un programme nucléaire. La guerre en Irak constitue donc, d’une certaine manière, une première rupture avec la logique multilatérale.

Un autre critère déterminant concerne la position particulière d’Israël. La politique israélienne en matière de non-prolifération a toujours été en marge de celle des pays occidentaux, bien qu’elle ait parfois bénéficié de leur soutien tacite. Cette politique relève non pas de la non-prolifération à proprement parler, mais de la contre-prolifération, autrement dit, l’usage de la force militaire pour empêcher un État de se doter de l’arme nucléaire, même en dehors du cadre du droit international.

En juin 1981, Israël a détruit le réacteur nucléaire Osirak en Irak, soupçonné de servir à la fabrication de l’arme nucléaire. Cette opération était assez similaire à ce qui vient de se produire aujourd’hui, et cela s’était fait totalement en dehors du droit international.

En 2007, Israël a également détruit une installation nucléaire en Syrie, soupçonnée d’abriter un programme clandestin d’armement. Cette destruction s’est effectuée sans mandat international.

Si la non-prolifération est inscrite dans le droit international, la logique de contre-prolifération, telle qu’elle est interprétée par les États-Unis, Israël et certains autres États occidentaux, s’en émancipe largement.
Jean-Sylvestre Mongrenier : Oui, d’une certaine manière. Beaucoup en Occident, y compris aux Etats-Unis, pensent que toute guerre est vaine et ne peut être remportée. Il ne faudrait ni vainqueur, ni vaincu. Ainsi le phénomène guerrier est-il dilué dans une théorie générale des conflits, l’usage de la force militaire étant vu comme un simple adjuvant de la diplomatie : l’objectif serait de parvenir à un compromis bancal supposé satisfaire tout le monde (un accord « win-win ») mais qui, bien souvent ne satisfait personne.

Pacifisme viscéral ou réductionnisme économique ? L’essence du Politique, saisi comme une activité consubstantielle à la condition humaine, sa logique propre et ses spécificités (le primat du conflit, la distinction de l’ami et de l’ennemi, le recours à la puissance, y compris au moyen de la guerre), ne sont plus véritablement compris.

Au prétexte qu’aucune victoire militaire n’est définitive et totale, il faudrait renoncer à vaincre. Mais le Politique ne relève pas des fins dernières : cette activité a pour buts la concorde intérieure et la sécurité extérieure d’une collectivité humaine. A la différence des dirigeants iranien, ne confondons pas politique et eschatologie (voir Julien Freund, L’essence du politique, Sirey, 1965). Bref, la guerre reste notre « bel avenir ». Outre des régions où elle est de longue date endémique, comme sur le continent africain (Corne de l’Afrique, Afrique centrale), la guerre frappe l’Europe, où l’on redoute une extension de l’Ukraine à la zone euro-atlantique ; elle s’étend au Moyen-Orient et menace l’Extrême-Orient (détroit de Taiwan et Méditerranée asiatique).


















Atantico

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