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Samba Sy, ministre du Travail: «Rénover notre législation du travail pour l’adapter au contexte actuel»

Rédigé par Dakarposte le Samedi 1 Mai 2021 à 00:29

La pandémie de Covid-19 a secoué le monde du travail. Une situation inédite qui a contraint les États à de profonds réajustements. Dans cet entretien, le Ministre du Travail, du Dialogue social, des Organisations professionnelles et des Relations avec les institutions aborde les nombreuses initiatives de l’État du Sénégal qui a permis d’en atténuer les effets. Samba Sy revient également sur les réformes en cours pour adapter le travail aux exigences imposées par la crise sanitaire.


Une enquête révèle que 1236 travailleurs ont été licenciés à cause, en partie, de la Covid 19. Quelle lecture en faites-vous ?

Cette enquête a été réalisée par le ministère du Travail à la suite d’une commande du Chef de l’État. Il était important d’avoir une information factuelle sur la situation pour pouvoir prendre la bonne décision. Nous sommes dans une situation de crise sanitaire prolongée, accompagnée d’une crise sociale et économique à l’échelle monde. L’enquête en question, c’est sur 12 mois. Il y a eu 16.527 travailleurs mis en chômage technique et 1236 licenciés pour motif économique. Cela se passe dans un monde où, selon une enquête de l’Oit, près de 9% des heures de travail ont été perdues. Cela veut dire que 255 millions de personnes ont perdu leur emploi à temps plein dans le monde. Et notre pays a dû prendre sa part de charges. Mais si des mesures n’avaient pas été prises dès le début de la crise, les résultats auraient été plus alarmants. Dans le cadre de la loi d’habilitation, la première mesure qui a été prise par le Président de la République en termes d’ordonnance a été de proscrire le licenciement pour motif économique, mais en même temps de réguler la mise en chômage technique en l’encadrant par un paiement d’au moins l’équivalent de 70% du salaire. Le Gouvernement a très vite montré sa volonté de protéger le travailleur. Malheureusement, cette ordonnance a eu cours pendant trois mois. À partir de là et par le jeu de l’économie, il a fallu que la réalité économique impose sa volonté à notre pays. C’est toujours regrettable de constater qu’un travailleur a perdu son emploi pour des motifs conjoncturels ou structurels. Mais la volonté du Gouvernement, c’est de faire en sorte que les entreprises continuent de tourner et les emplois préservés et qu’il y ait même davantage d’entreprises et d’emplois.

Vous aviez annoncé une révision du Code du travail afin de mieux protéger les travailleurs et les employeurs. Où en êtes-vous ?

Il en est de la législation du travail comme des habits que nous portons. Le temps les use. Nous sommes dans un monde qui est en train de changer radicalement et ces changements ne sont pas forcément pris en charge par le corpus juridique dont nous disposons. C’est pourquoi il est normal, au fil du temps, que nous en venions à des modifications-adaptations de notre législation du travail. Nous sommes dans un « champ monde », une compétition ouverte où vous ne pouvez plus vous mettre de côté et ignorer ce qui se passe partout. Ensuite nous sommes à une période où les sciences et techniques sont en train de fouetter le destin collectif. De ce point de vue, vous ne pouvez pas être sourd et aveugle à ce qu’impose le progrès. Par exemple, cette pandémie a mis en lumière le télétravail. Il faut que nous ayons des formules qui vont le régir. Il nous faut réfléchir à l’encadrement du chômage technique. Autant de chantiers qui font que nous devons essayer de rénover notre législation du travail pour l’adapter au contexte actuel. De ce point de vue, de l’encadrement à la protection du travailleur, il faut voir donc les instruments les mieux pertinents pour lui fournir la couverture dont il a besoin. En termes de rénovation de la législation du travail, il faut aussi que nous réfléchissions davantage sur la protection sociale. La crise qui sévit nous montre qu’il faut anticiper sur certaines situations. La question de la perte d’emploi devrait être un peu plus vue, adressée, pour que nous puissions donner un minimum à ce travailleur-là qui perdrait son emploi du fait de circonstances qui ne dépendent pas de lui.

Comment appréciez-vous le climat social ?

Nous devons nous féliciter d’être dans un pays où nous avons la latitude de discuter, de poser les problèmes et d’essayer de leur trouver une solution. Nous avons un commerce de qualité avec les centrales syndicales et les organisations patronales. Nous nous rencontrons régulièrement. Cela ne veut pas dire qu’il n’y pas de revendications, qu’il n’y pas de problèmes. Il est dans l’ordre normal des choses qu’il y ait des difficultés. C’est vital. C’est ce qui permet d’avoir cette tension qui nous tire vers le haut. Nos partenaires sociaux sont capables d’écoute, soucieux de l’intérêt général au-delà des intérêts des travailleurs. Il faut les féliciter pour tous ces efforts.

Où en êtes-vous avec le pacte de stabilité sociale et d’émergence économique ?

Nous avons évalué le pacte de stabilité sociale qui courait. Nous l’avons discuté et vu ce qui était le niveau de réalisation des différentes clauses auxquelles nous avions, ensemble, souscrit. Nous avons fait le point et à l’occasion il y a eu des indications, des choses que les travailleurs et le patronat aimeraient voir redressées ou corrigées. Nous sommes en discussion et, sur ce chantier, nous sommes convaincus que nous avancerons. Ce pacte a ceci de méritoire : il nous a permis de faire des avancées. C’est la pandémie qui a fait traîner notre élan mais régulièrement nous avons fait des chiffres significatifs en termes de taux de croissance ; en moyenne, c’est 6%. Nous n’aurions pas pu le faire si nous n’avions pas le minimum de stabilité. Le pacte et l’espace de dialogue qu’il a instauré nous ont permis de faire des avancées considérables. Il y a quelque temps de cela, nous avons eu le plaisir de signer un acte par lequel le salaire dans le secteur privé était relevé. Les catégories premières jusqu’à trois, c’était un relèvement de 8%. Pour ceux qui étaient entre la quatrième et la huitième catégorie, le relèvement était de 5%. Ce que j’essaie de dire est que les salaires, côté catégoriel, ont été augmenté. Vous avez en mémoire que le Salaire minimum interprofessionnel garantie (Smig) a été revu et quasiment doublé. Nous ne sommes pas loin aujourd’hui de 60.000 FCfa pour le Smig. Pour quelqu’un qui gagne beaucoup plus, ça n’a aucune valeur mais pour un travailleur, ça a du sens. Nous avons signé, il y a peu, la nouvelle convention collective nationale interprofessionnelle. Nous avons une stabilité, et cela nous le devons à un commerce de qualité entre organisations patronales et organisations de travailleurs.

Dans certains secteurs, l’âge de départ à la retraite a été relevé. Est-ce envisageable que cela soit élargi à d’autres secteurs ?

Quand vous devez gérer le destin collectif, vous avez affaire à des intérêts divergents. C’est une préoccupation pour beaucoup de segments de la vie nationale que de pouvoir travailler pendant très longtemps. Vous savez déjà quel est l’âge de départ à la retraite dans le pays, dans le public comme dans le privé. Le débat est là. Pour les médecins, l’âge de la retraite a été revu à la hausse. Maintenant, est-ce qu’il faut une généralisation de cela ? Mettez cette demande en rapport avec la forte demande de travail et d’emploi des plus nombreux parmi nous, c’est-à-dire les jeunes. Les gens vous diront que si l’on continue à allonger la durée des carrières des travailleurs séniors, on ferme la porte d’accès à l’emploi aux plus jeunes. Dans notre pays, les gens se battent pour le report à plus tard du départ à la retraite, dans beaucoup d’autres de pays, des gens se battent pour que l’âge à la retraite vienne un peu plus tôt pour pouvoir profiter de la vie. Des choses ont été faites pour un champ spécial qui est le champ des médecins. La pandémie nous a montré que nous n’avions pas tort d’avoir fait ce choix à cause de la longueur des études des médecins, de la rareté des ressources humaines et du besoin prégnant que nous en avons.

Le Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio-économique des jeunes vise 443.000 emplois et auto-emplois. Est-il réaliste et réalisable ?

Tout est dans la volonté, tout est dans l’effort collectif. Si nous en faisons l’affaire du Président de la République, si nous en faisons l’affaire du gouvernement, si nous en faisons l’affaire du secteur privé, il y a peut-être des objectifs que nous atteindrons difficilement. Mais s’il y a une communion, une convergence nationale autour de ce dessein qui est de créer de l’emploi, c’est-à-dire la richesse, pour faire de sorte que le Sénégal fasse un bon en avant, si tous nous en sommes convaincus, il n’y a pas de raison que nous n’y arrivions pas. Ce sont les ressorts psychologiques qu’il faut d’abord décloisonner. Pour pouvoir gagner, il faut être convaincu qu’on peut le faire. Si certains de nos compatriotes démissionnent, ce n’est pas aussi grave que ça mais s’ils veulent faire de sorte que leur démission soit partagée et qu’il y ait une philosophie du pessimisme, il sera un peu difficile de réaliser ce que nous avons envie de faire. Aucun Sénégalais, aucun patriote ne veut que l’élan national qui a été mis en branle à Diamniadio soit brisé. Oui, il nous est possible d’aller de l’avant, de donner de l’emploi, du travail pour permettre la création davantage de richesses.

Pourquoi la problématique de l’emploi est-elle si récurrente ?

C’est la vie qui n’est pas simple. L’emploi, ce n’est pas seulement le gagne-pain. On ne travaille pas pour avoir de quoi vivre. On travaille pour occuper une place dans la société. La société est faite que vous ne pouvez pas vivre et exister en son sein sans recevoir d’elle quelque chose. Quand vous êtes en société, vous êtes à la rencontre des autres qui vous rendent service. Il est très difficile pour quelqu’un qui reçoit, s’il veut se sentir existé, de ne pas à son tour se mettre à donner. Il y a aussi des schèmes mondiaux qui font que le travail est organisé. Dans un pays comme le nôtre, nous avons beaucoup à faire en termes de profilage de la formation pour rendre celle-ci adéquate avec les besoins. Cet effort d’ajustement est à pérenniser. L’une des difficultés que nous avons en tant que Sénégal tient à la structure de notre propre démographie. Nous sommes un pays où l’écrasante majorité des citoyens est jeune. Près de 70 à 75% des Sénégalais n’ont pas 35 ans. Ce sont des problèmes de formation et d’insertion professionnelle. Ce problème n’est pas simple mais il nous montre que nous avons une grande chance parce qu’il y a des forces, il y a de la disponibilité. Il s’agit de trouver le bon filon pour transformer tous ces éléments non plus en obstacles mais en avantages comparatifs.


















Le Soleil Quotidien



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