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En Afrique, un déploiement vaccinal lent et complexe

Rédigé par Dakarposte le Vendredi 17 Décembre 2021 à 12:57

Août 2024 : au rythme actuel, c’est à cet horizon que l’Afrique peut espérer atteindre son objectif de vaccination contre le Covid-19 de 70 % de la population. Avec près de deux ans de retard sur la date qu’elle s’était fixée, et bien après le reste du monde. Alors que la propagation du variant Omicron alimente une nouvelle vague de contaminations aux conséquences encore inconnues, cette lointaine échéance, rappelée mardi 14 décembre par la directrice du bureau africain de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Matshidiso Moeti, résume crûment la situation du continent. Si le nombre hebdomadaire de doses reçues a augmenté au cours des dernières semaines, passant de 2,5 millions à 20 millions en moyenne, il reste très insuffisant pour combler le retard accumulé.

L’arrivée du variant Omicron relance le débat sur la fracture vaccinale Nord-Sud
Au total, quelque 280 millions de doses seulement ont été administrées pour une population de 1,3 milliard d’habitants. Un peu plus de 8 % sont considérés comme entièrement vaccinés. Ce chiffre masque de profondes disparités entre une poignée d’Etats parvenus à déployer des campagnes leur permettant de vacciner entre 30 % et 70 % de leur population – Seychelles, Maurice, Maroc, Tunisie, Rwanda, Afrique du Sud, Egypte –, et des pays qui demeurent des déserts vaccinaux comme la République démocratique du Congo (RDC), qui compte 0,2 % de personnes vaccinées pour 100 millions d’habitants, ou le Nigeria, avec 200 millions d’habitants et moins de 2 % de la population couverte.

Le mécanisme de solidarité international Covax, malgré ses défaillances, reste la principale source d’approvisionnement et pour certains pays – Mali, Niger, Tchad par exemple –, la seule. Il a livré 200 millions de doses, acquises pour près de la moitié auprès d’AstraZeneca. L’Union africaine, qui a mis sur pied son propre mécanisme d’achat à travers l’initiative African Vaccine Acquisition Task Team (AVATT), a commencé à livrer ses premiers quotas à l’automne.

Doses périmées
S’il est en soi une bonne nouvelle, l’afflux supplémentaire de vaccins se produit cependant dans un mouvement désordonné qui place parfois les récipiendaires au pied du mur et même, parfois, dans l’incapacité d’en faire usage. Le Nigeria vient ainsi d’annoncer qu’il était sur le point de détruire 1 million de doses arrivées à expiration. Au Sénégal, 400 000 doses sont vouées au même sort. Deux tiers des stocks libérés par les pays du Nord et livrés à l’Afrique au cours des dernières semaines ont une durée de vie de moins de trois mois.

Cette situation a conduit l’OMS et le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) à publier un communiqué commun, pour demander aux pays donateurs d’avertir au moins un mois à l’avance de leurs projets de don et d’attendre l’acceptation des pays ciblés avant tout envoi. Les autorités sanitaires déplorent aussi que les doses soient fournies sans les seringues ou les diluants indispensables.

La fracture vaccinale perdure avec les pays du Sud
L’OMS a commencé à déployer un plan spécial de soutien auprès de la quinzaine de pays les plus en retard dans leur programme de vaccination. « La disponibilité des vaccins y est aujourd’hui moins un problème que la capacité à mettre en œuvre des plans de vaccination adaptés et auxquels les populations adhèrent, explique le docteur Thierno Balde, responsable de la réponse au Covid-19 pour l’Afrique. Il est difficile d’expliquer que cette maladie est une réalité à des personnes qui n’en perçoivent pas le danger. » Un peu moins de 9 millions de cas et 226 000 décès ont officiellement été déclarés sur le continent. L’Afrique du Sud en concentre à elle seule 40 %.

Quoi qu’il en soit, la flambée épidémique provoquée par le variant Omicron sonne pour l’OMS comme un nouvel appel à partager plus équitablement l’accès aux vaccins. « Comme Omicron le démontre, c’est bien cette iniquité vaccinale qui a permis ce qui est arrivé », a affirmé le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Les mutations du SARS-CoV-2 et la nécessité de procéder à un rappel six mois après la dernière injection pour garantir l’effet protecteur des vaccins apparaissent pourtant comme une difficulté supplémentaire pour y parvenir. Le moratoire sur la troisième dose réclamé par l’OMS n’a pas été entendu.

« Nous avons dû faire les choses nous-mêmes »
En Afrique même, une dizaine de pays ont commencé des campagnes de rappel. L’Afrique du Sud, foyer d’un tiers des cas Omicron détectés dans le monde, a publié un communiqué dans ce sens le 8 décembre, après que le laboratoire Pfizer a annoncé que son produit retrouvait son efficacité face à Omicron après trois doses. Le pays, qui comptait 200 à 300 cas par jour mi-novembre, en a enregistré près de 27 000 mercredi 15 décembre. Depuis le mois d’octobre, le Maroc a quant à lui commencé à rappeler les personnes les plus fragiles ou les plus exposées pour limiter les risques liés au variant Delta.

L’Afrique du Sud s’estime « injustement discriminée » après l’apparition du variant Omicron
Dans cette course aux vaccins dont il est impossible d’anticiper la fin, le continent voit une lueur d’espoir avec la perspective de pouvoir produire à courte ou moyenne échéance ses propres doses. L’ Afrique du Sud doit accueillir le premier hub de transfert de technologie du monde en développement. La start-up sud-africaine Afrigen a été chargée de mettre au point un premier vaccin à ARN messager contre le Covid-19. La production et la commercialisation du vaccin, confiées au laboratoire Biovac, sont prévues au mieux pour 2024, après une phase d’essais cliniques alors que ni Pfizer ni Moderna n’ont souhaité partager leur technologie avec la plate-forme. « Nous avons dû faire les choses nous-mêmes, nous développons notre propre procédure, nos propres vaccins », rappelle la directrice d’Afrigen, Petro Terblanche.

La plate-forme travaille à produire un vaccin sur le modèle de celui de Moderna, dont la séquence est publiée. Le laboratoire a fait savoir, à l’automne 2020, qu’il ne ferait pas valoir les droits intellectuels sur la fabrication de son vaccin pendant la durée de la pandémie. Le 30 novembre, la compagnie sud-africaine Aspen, qui embouteille déjà des doses pour le laboratoire Johnson & Johnson, a annoncé la signature d’un accord de principe avec le géant américain qui devrait lui permettre de fabriquer et de vendre prochainement le vaccin sous la marque Aspenovax, « exclusivement pour l’approvisionnement des clients africains ». « Un vaccin contre le Covid-19 fabriqué en Afrique, pour l’Afrique », résume le directeur général d’Aspen, Stephen Saad. Le Sénégal, l’Egypte et le Rwanda se positionnent aussi pour devenir des pôles régionaux de production.

Réalisme questionné
Si pour l’OMS ou CDC Afrique, l’évolution de la pandémie conforte la stratégie d’un objectif unique de vaccination massive pour tous les pays, des voix s’élèvent pour questionner le réalisme et l’efficacité d’une telle approche.

Covid-19 : les champions africains de la lutte pour l’accès aux vaccins
Jeudi, Epicentre, l’unité de l’ONG Médecins sans frontières consacrée à la recherche épidémiologique, a publié les résultats d’enquêtes de séroprévalence des anticorps contre le SARS-CoV-2 réalisées dans six pays (Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, République démocratique du Congo, Soudan). « Nos résultats montrent des taux de séroprévalence allant de 10 % à 40 %, qui confirment que l’Afrique a bel et bien été exposée au SARS-CoV-2 comme le reste du monde. Le taux de mortalité y est cependant demeuré nettement plus faible », explique Yap Boum, représentant d’Epicentre pour l’Afrique.

« Cela doit nous conduire à poser la question de la valeur ajoutée d’une vaccination généralisée pour des pays comme le Niger, qui ont enregistré moins de 300 morts depuis le début de l’épidémie, poursuit-il. Il faut oser dire que ces pays ont peut-être d’autres priorités de santé publique. » Selon M. Boum, « assurer l’accès aux vaccins au personnel de santé et aux personnes les plus vulnérables est indispensable, mais il faut accepter d’avoir un débat sur la nécessité de réponses locales et contextualisées ». Pour le professeur, cette réalité doit conduire à penser autrement la question de l’égalité vaccinale.


















Le Monde



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